Prescrire
Pour faire suite à la consultation publique sur le projet de réévaluation des pictogrammes grossesse, vous trouverez ci-dessous la position et les arguments de Prescrire.
● En premier lieu, nous sommes d’avis que les points suivants sont des évolutions positives :
– la prise en compte du risque d’avortement spontané (alias fausse couche) et du risque de troubles du neurodéveloppement, puisqu’il y a un danger identifié menaçant le déroulement de la grossesse ou compromettant lourdement l’avenir de l’enfant à naître et de son entourage ;
– la prise en compte des connaissances pharmacologiques pour une nouvelle substance d’un groupe connu qui font craindre un effet délétère pendant la grossesse avec cette nouvelle substance comme avec les autres médicaments de ce groupe, par exemple un nouveau rétinoïde. Ce qui justifie d’apposer le pictogramme le plus protecteur ;
– le processus de validation par l’ANSM de chaque pictogramme proposé par une firme pour un médicament donné, à condition que l’ANSM ait les moyens effectifs de procéder à chaque validation.
● Avant tout changement, les projets de nouveaux pictogrammes devraient faire l’objet d’une évaluation d’utilisabilité, de lisibilité et de compréhension ; et d’une évaluation comparative méthodique de fort niveau de preuves de leur supériorité par rapport aux pictogrammes actuels. Avec des rapports de ces évaluations détaillés et publics.
● Nous sommes d’avis que l’objectif d’un pictogramme est d’attirer l’attention quand un danger est avéré ou suspecté ; que ce soit à partir des données chez l’animal, des données pharmacologiques de substances d’un même groupe (rétinoïdes, cytotoxiques, etc.), ou des données chez les femmes enceintes. Il s’agit d’un outil d’alerte ou de mise en garde, incitant les femmes ou les couples concernés à consulter la notice et à dialoguer avec les soignants. En matière de signalétique, le triangle rouge et le rond barré renvoient à des messages forts et d’autant plus compréhensibles qu’ils ont été appris avec le code de la route.
Nous considérons donc contre-productif que toutes les boîtes de médicaments comportent un pictogramme grossesse, car les pictogrammes les plus protecteurs perdraient leur capacité d’alerte. Nous considérons aussi que le système actuel basé sur deux pictogrammes, avec d’un côté un pictogramme « danger » (triangle rouge), de l’autre un pictogramme « interdit » quand il y a une contre-indication (rond barré), reste adapté. Remplacer le pictogramme « interdit » (rond barré) par un triangle violet nous semble être une régression. En effet, ce nouveau pictogramme est peu compréhensible de façon intuitive et n’est pas une signalétique assez forte pour une interdiction.
Face à une situation de doute ou pouvant répondre aux deux pictogrammes, le pictogramme le plus protecteur (rond barré) s’impose. Ça doit rester le cas pour les spécialités à base de valproate.
● Les couleurs choisies pour les pictogrammes proposés (bleu, orange, rouge, violet) ne seront pas spontanément comprises. Elles vont de plus poser problème aux personnes ayant des troubles de la vision des couleurs. Seul le liseré rouge donne l’alerte. La couleur violette proposée pour le pictogramme « interdit » ne fait l’objet d’aucune normalisation en signalétique. Il est prévisible qu’il serait perçu comme plus rassurant que la couleur rouge par de nombreuses personnes.
● Nous considérons comme une régression l’absence de mention concernant la nécessité d’une contraception efficace en cas de prise d’un médicament à risque pendant la grossesse.
● Nous considérons comme une régression l’ajout d’une jauge colorée, encombrante, qui complique et brouille le message. Et qui est inadaptée aux personnes ayant des troubles de la vision des couleurs.
Il est par exemple dangereux qu’elle soit constituée de 3 niveaux alors que 4 pictogrammes sont proposés (avec une jauge qui situe le risque au même niveau pour les pictogrammes triangle rouge et triangle violet) alors que les conduites à tenir sont très différentes. La suppression de cette jauge colorée ne diminuerait pas la valeur d’alerte d’un pictogramme d’interdiction comportant un visuel dans un rond barré avec une phrase d’accompagnement adaptée.
● La représentation du fœtus dans les pictogrammes proposés n’est pas utile, la silhouette de la femme enceinte est suffisamment explicite et ce pictogramme a l’avantage d’être largement connu et convergent avec le dispositif alertant sur la prise d’alcool pendant la grossesse. Mettre en avant le fœtus comme la cible du risque est réducteur et minimise le fait que la mère elle-même est aussi concernée. Et ceci semble exclure les situations où une femme est enceinte sans le savoir, ou pourrait le devenir en l’absence d’une contraception efficace.
● Nous considérons important de prendre en compte aussi le risque lié à l’exposition du père à une substance génotoxique.
Autres remarques :
● Nous nous interrogeons sur les modalités pratiques de la mise en œuvre des nouveaux pictogrammes : les firmes pharmaceutiques auront-elles l’obligation de présenter, pour validation par l’ANSM, une mise à jour des pictogrammes pour toutes les spécialités déjà commercialisées, et sous quel délai ? Le processus doit être entièrement public et accessible librement, pour chaque spécialité : comment cette transparence, en temps réel, sera-t-elle assurée ?
● La validation d’un pictogramme par l’ANSM fera-t-elle l’objet d’un rapport public d’évaluation spécifique publié sur le site de l’Agence ?
● Les pictogrammes retenus figureront-ils dans la Base de données publique des médicaments pour chaque spécialité ou sur une base dédiée ?
● Y aura-t-il une vérification de la cohérence de pictogrammes pour les spécialités contenant la même substance mais commercialisées par différentes firmes ou à des dates diverses ?
● Lors de l’identification d’un risque nouveau, nous avons compris qu’il faudra attendre une variation des AMM pour que ce risque soit ajouté dans les RCP pour ensuite entraîner la réévaluation du pictogramme des spécialités ; dans l’intervalle, par quels moyens l’ANSM prévoit-elle d’alerter sur ce risque ? Cette alerte sera-t-elle partagée avec l’Agence européenne du médicament et les autorités compétentes nationales de l’Union ?
● L’ANSM va -t-elle demander une réévaluation des pictogrammes au niveau européen ?
● Nous insistons pour que la notice au format papier insérée dans la boîte reste le support de l’information précise, détaillée et dans un langage compréhensible sur les risques pendant la grossesse.
Article source : Réponse de Prescrire à la consultation publique de l’ANSM sur le projet de réévaluation du pictogramme grossesse sur les boîtes de médicaments
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