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« J’ai été indemnisé à l’ONIAM »

Bonjour Anne, pourquoi avoir débuté les démarches juridiques ?

J’ai eu 4 grossesses sous Dépakine chrono 500. J’ai découvert le scandale de la Dépakine après une intervention de Mme Marine Martin dans le Magazine de la Santé.

Quand avez-vous commencé votre dossier ?

Quelques mois après avoir appelé l’APESAC, j’ai contacté le cabinet Dante, en septembre 2016 pour pouvoir entamer la procédure.

Il m’a fallu environ un an pour réunir les premières pièces demandées pour les dossiers.

Nous avons réalisé un dossier pour chacun de nos enfants + un dossier pour l’IMG.

Quel a été le retour de l’ONIAM sur tous ces dossiers?

Fin Janvier 2019, nous avons reçu le projet de rapport du Collège de l’ONIAM. C’est à dire que notre dossier avait été examiné par les médecins de l’ONIAM en charge de dire si oui ou non la Dépakine était responsable du handicap de mes enfants.

Nous avons été très déçus que les dossiers de notre ainé Marc et Jérôme le cadet soient rejetés par l’ONIAM.

Leurs pathologies multiples (dysmorphie du visage, otites, malformation du dos et hyperlaxité des membres, problème urinaire) n’ont pas été reconnus comme imputables au valproate. Nous avions pourtant soumis le compte-rendu du Docteur Journel, un généticien spécialisé en embryofœtopathie au valproate. Même s’ils ont des pathologies plus légères, je ne trouve pas cela juste qu’ils ne soient pas reconnus. En effet si par la suite ils venaient à avoir d’autres maladies qui se déclarent, ils ne pourraient pas demander réparation.

Par contre nous avons été plutôt satisfaits pour Thomas , mon fils le plus touché. Il est épileptique et autiste sévère. Il a des troubles de la communication, une absence de langage, des difficultés relationnelles et de comportement, un retard psychomoteur, une déficience mentale sévère. Il souffre aussi de plusieurs malformations : dysmorphie du visage, un pectus excavatum (déformation du thorax), des mains hyperlaxes, des pieds affaissés. Il a souffert de nombreuses otites, et il a subi une adénoïdectomie (ablations des végétations), une pose d’aérateurs.

Son épilepsie n’a pas été reconnue comme imputable à la Dépakine.

 J’ai subi une IMG (Interruption Médicale de Grossesse) en 1994. Des anomalies ont été détectées par le médecin durant l’échographie du 5ème mois. Ce bébé était porteur d’un spina-bifida ainsi qu’une microcéphalie (formes de croissance anormalement faible de la boîte crânienne et du cerveau). Le médecin a considéré qu’il n’était pas viable et m’a proposé un Interruption Médical de Grossesse. Cela a été une épreuve terrible, c’est quelque chose que je n’oublierai jamais.

L’ONIAM nous a indemnisé son père et moi pour l’IMG d’un montant total de 8500€ sur lequel nous devrons redonner 1836€ à l’avocat ce qui correspond à ses honoraires.

Nous sommes contents même si cela ne nous enlèvera pas la douleur d’avoir perdu un enfant qui était désiré.

En Septembre 2019 nous avons reçu le rapport du Comité. C’est à dire des juristes qui évaluent le temps qui sera nécessaire à Thomas pour être assisté au quotidien d’une aide de vie appelée tierce personne. La tierce personne est le terme juridique qui veut dire la personne qui aidera notre fils dans ces geste de la vie quotidienne, cela peut être moi où une autre personne que nous embaucherions pour l’aider à se faire à manger, son ménage, ses papiers administratifs. Car tout cela malheureusement il ne peut pas le faire.

En décembre 2019 une première indemnisation prévisionnelle nous a été envoyée. Elle comprenait les montants pour les victimes indirectes (parents, frères, grands-parents etc…) reconnues. Les grands parents de Thomas, son frère et pour nous deux (84 000€ au total), mais le petit frère de Thomas, lui n’a pas été reconnu comme victime. Nous avons donc dû déposer un recours.

En mars 2020 nous avons reçu le protocole d’indemnisation transactionnelle provisionnelle de Thomas, avec le tableau reprenant les chefs de préjudices retenus. Le montant attribué est de 462 000€ sur lequel là encore l’avocat prend sa commission de 18%HT (+TVA 20%) donc au final 362 208€ pour la famille.

Nous attendons maintenant le montant pour la tierce personne, environ 12h/jours de ses 2 ans à aujourd’hui.

Il s’agit de la plus grosse partie de l’indemnisation pour Thomas, comment vivez-vous cette dernière attente ?Pas toujours sereinement, Thomas a été placé en IME (Institut Médico-Educatif), j’ai arrêté de travailler pendant 10 ans pour m’occuper de lui. Mais l’ONIAM n’a pas pris en compte les éléments que j’avais transmis, mes anciens bulletins de paie etc… C’est très frustrant car c’est comme si toutes ces années passées au côté de mon fils n’étaient pas reconnues. Je me console en me disant que l’important c’est que Thomas soit bien indemnisé et qu’importe si moi je ne le suis pas mais c’est quand même une non reconnaissance du sacrifice.

Depuis juin 2019, il vit en MAS (Maison d’accueil Spécialisé). C’est un choix qui a été difficile, il y a eu un vrai cheminement. Petit à petit je commence à devenir la maman de Thomas et plus son infirmière, et ses frères découvrent leurs rôles de frères.

Vous avez fait le choix de témoigner anonymement, Pourquoi ?

Parce que mon fils est une personne vulnérable, il ne se rend pas compte des sommes que cela représente. Je suis là pour le protéger. Je représente ses intérêts et je ne voudrais pas que des personnes mal intentionnées abusent de sa crédulité. Il est de mon devoir de protéger ses intérêts, lui ne peux pas s’exprimer et raconter son histoire, et il ne pourra pas prendre de décision pour son avenir.

Comment cet argent va modifier vos vies ?

On ne sait pas mais on attend surtout que ça change la vie de Thomas, ça sera Thomas d’abord.

Le cabinet d’avocat, nous a dit de ne pas nous emballer sur le montant total, je pense que l’avocat a une idée de la somme mais qu’il veut nous préserver. Si c’est en dessous du montant espéré nous serions déçus. Mais la somme que nous envisageons est très importante, vraiment, cela représente beaucoup d’argent. Vis à vis de ses frères qui n’ont pas été reconnus c’est compliqué à gérer également. Il faut complémentent réorganiser nos vies.

Qu’allez-vous faire de cet argent ?

En ce qui concerne les indemnisations pour Thomas, nous sommes gestionnaires de cet argent mon mari et moi. Nous avons une habilitation familiale pour lui, c’est à dire que nous gérons son budget, ses dépenses, nous n’avons pas choisi la mesure de tutelle qui est trop lourde à gérer. Le Juge a été mis au courant du dossier . Nous n’aurons pas de compte à rendre au juge sur l’argent de Thomas ou sur son utilisation.

Avant même d’obtenir les premiers montants nous avons contacté un notaire, il nous aiguille pour « l’après ».

Sans rentrer dans notre vie, le notaire nous guide dans la gestion du patrimoine de Thomas. J’attends de lui qu’il nous aide sur d’éventuels investissements. Nous envisageons un investissement immobilier pour lui, pour assurer son avenir, qu’il ai toujours un toit au dessus de la tête.

Nous avons eu besoin de mettre en place ces étapes, pour pouvoir avancer sereinement.

On aura sûrement besoin de l’aide d’un psychologue. Cet argent appartient à Thomas, pour le gérer correctement il va falloir que toute la famille soit d’accord, ce qui n’est pas toujours facile. C’est sûr qu’il va falloir mettre des barrières et c’est à nous de les mettre.

L’argent que chacun va recevoir en tant que victimes indirectes pourra être dépenser par chacun des membres de la famille comme bon lui semble mais pas celui de Thomas.

Il ne faut pas oublier que lorsque le protocole d’accord d’indemnisation est signé, il faut encore attendre avant que l’argent soit versé sur les comptes.

Le cabinet d’avocat peut prendre directement l’intégralité du montant ses honoraires (autour de 18%) par l’ONIAM, puis faire le virement sur le compte de la famille par la suite.

Pour conclure, que diriez-vous aux familles qui sont en pleine procédure avec l’ONIAM ou qui hésitent encore à faire les démarches ?

J’ai une devise il vaut mieux avoir un refus qu’un regret. Nous n’avons pas obtenu satisfaction sur tout mais globalement nous sommes satisfaits et nous assurons un avenir pour le plus touché de mes enfants.

Cette reconnaissance est l’aboutissement de plusieurs années de questionnement : « qu’a-t-il bien pu arriver à Thomas ? »

La reconnaissance du préjudice de Thomas par l’ONIAM est la fin de ce questionnement : Oui c’est une victime de la Dépakine.

La famille a souhaité témoigner sous couvert d’anonymat, les prénoms utilisés sont des prénoms d’emprunt.

Propos recueillis par Emilie DECHATRES

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