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Dépakine : « Le combat n’est pas terminé »

 le Nouvel Observateur

Elodie Lepage – Publié le 05 avril 2017 à 15h08

Dans son livre « Dépakine, le scandale sanitaire », Marine Martin, la mère de famille qui a révélé cette affaire, revient sur sa longue bataille pour la reconnaissance de la dangerosité de cet antiépileptique et alerte sur le manque d’information de la population.

Paris, Bordeaux, Dax… Dans les semaines qui viennent, elle va sillonner le pays. Elle dit qu’elle est en campagne, comme l’autre Marine. « Moi, je suis la gentille »,  précise-t-elle en riant. Partout en France, Marine Martin, le rire facile mais le regard grave, va expliquer encore et encore à des familles désemparées les ravages de la Dépakine. La Dépakine ? Cet antiépileptique aux effets secondaires dramatiques : prescrit à la femme enceinte, il peut provoquer des malformations physiques (lèvre supérieure fine, nez épaté, cardiopathie…) et de graves troubles du comportement (autisme, troubles praxiques…) chez l’enfant à naître.

Il y a deux ans, le scandale éclatait grâce à elle. Ce drame, Marine Martin le vivait alors dans sa chair depuis longtemps, très longtemps. Epileptique depuis l’enfance, elle prenait de la Dépakine pendant ses deux grossesses. Elle avait demandé à ses médecins s’il y avait un risque. « Aucun », lui avaient-ils assuré. Ses enfants, Salomé, 18 ans, et Nathan, 15 ans, font pourtant partie, aujourd’hui, des milliers d’enfants Dépakine que compte la France. Selon leur mère :

« On estime à 3.800 le nombre d’enfants touchés. »

Marine Martin a créé l’Association d’aide aux parents souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Apesac) en 2011. Son action commence à porter ses fruits. Un fonds d’indemnisation des victimes de la Dépakine a ainsi été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en novembre dernier. Mais elle ne compte pas s’arrêter là. Aujourd’hui, elle sort un livre, « Dépakine, le scandale. Je ne pouvais pas me taire« *. Entretien.

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Pourquoi ce livre maintenant ?

Parce que le combat n’est pas gagné, malgré le vote du fonds d’indemnisation. Il devrait être mis en place au plus tard le 1er juillet et, croyez-moi, je vais veiller à ce que le calendrier soit respecté. C’est une première victoire, financière mais aussi symbolique : l’Etat reconnaît sa responsabilité dans ce dossier. Mais c’est lui qui va payer, c’est-à-dire le contribuable.

Or le responsable, c’est d’abord le laboratoire Sanofi, qui commercialise la Dépakine. Mais il continue de dire qu’il n’est pas responsable, que c’est la faute de l’Agence nationale du médicament (ANSM) qui n’a pas mis les notices en conformité. Je veux réussir à obtenir une condamnation du laboratoire pour que l’Etat puisse ensuite se retourner contre lui. Une procédure pénale est donc en cours. L’Apesac a également porté plainte au civil contre Sanofi sous forme d’une action de groupe le 13 décembre dernier.

Quels sont les autres combats à venir ?

Il y en a plusieurs. Il reste tout d’abord un problème d’information, de la population en général et des médecins en particulier. Après la diffusion par « Envoyé spécial » d’un sujet sur cette histoire le 16 mars dernier, j’ai reçu de très nombreux appels de gens qui découvraient seulement l’affaire ! Et dans ce sujet, on voit des médecins prescrire encore de la Dépakine à une jeune femme enceinte de 6 mois. Or les conditions de prescription ont été modifiées en 2014, grâce au combat de mères anglaises qui ont été entendues par l’Agence européenne du médicament – et non grâce au gouvernement français, comme on a voulu nous le faire croire…

Aujourd’hui, en théorie, la Dépakine ne peut plus être donnée aux femmes en âge de procréer, sauf en cas d’intolérance aux autres antiépileptiques, et un formulaire d’accord de soin doit être signé par la patiente, comme pour l’anti-acnéique Roaccutane. Mais dans les faits, beaucoup de médecins ne suivent pas ce protocole, soit parce qu’ils ne savent même pas qu’il existe, soit parce qu’ils s’en fichent. Une étude de l’AP-HP, commandée par Martin Hirsch et rendue publique en février, montre bien que l’information n’est pas passée auprès de tous les praticiens.

J’ai demandé au ministère de la Santé de faire des campagnes d’information dans les services de gynécologie et de neurologie. On m’a dit « c’est une bonne idée », mais il ne se passe rien.

Cela paraît complètement fou que des médecins informés continuent à prescrire ce médicament. Comment l’expliquez-vous ?

Parce que s’ils en parlent avec leurs patientes, elles vont vouloir changer de traitement. Or c’est compliqué. Elles risquent de refaire des crises avant de trouver un nouvel épileptique qui leur convienne. La Dépakine est un médicament facile à utiliser et qui soigne un large spectre d’épilepsies. Moi-même, j’ai mis quatre ans à trouver un autre épileptique qui m’aille, le Lamictal. Et encore… Il provoque des éruptions cutanées importantes.

Après, le problème est plus large. Lors d’une rencontre à l’Agence du médicament (ANSM) en 2013, je leur ai dit : « Donnez-moi le nom d’un épileptique qui ne soit pas tératogène [une substance tératogène est susceptible de provoquer des malformations chez l’enfant dont la mère a été traitée pendant la grossesse, NDLR]. » Ils m’ont dit : « Il n’y en a pas. » Je leur ai dit : « Il faut le dire ! » Eux m’ont répondu : « Ah ben non, parce que certaines femmes ne pourront pas avoir d’enfant. » J’ai répondu : « Eh bien, il faut le leur dire ! Qu’elles sachent à quoi s’en tenir ! » Depuis, j’ai obtenu la réévaluation des 21 autres antiépileptiques sur le marché. Tous sont effectivement tératogènes, on ne sait simplement pas à quel degré.

Que dire alors à une femme épileptique qui veut avoir des enfants ?

De bien se renseigner. Je pense qu’il y a aujourd’hui beaucoup de personnes sous traitement qui pourraient s’en passer. Il existe une forme d’épilepsie juvénile qui disparaît avec l’âge, mais on préfère sur-médicamenter de peur que les crises reviennent. Il y a aussi ces épilepsies d’absence où la personne déconnecte quelque temps sans chuter ou perdre connaissance. Dans ce cas, on pourrait imaginer se passer de traitement le temps de la grossesse.

Pour les femmes qui, comme moi, ne peuvent pas arrêter, il faut leur laisser le libre choix d’avoir des enfants, ou pas, en connaissance de cause. Pour ma part, je l’ai dit et je le répète : si j’avais su le risque que je prenais, j’aurais préféré adopter. J’adore mes enfants, mais je ne vis pas bien de leur avoir fait autant de mal.

Vous avez aussi bataillé pour la mise en place d’un pictogramme en forme de triangle avec une femme enceinte dessus et la mention « déconseillé aux femmes enceintes » sur les boîtes de Dépakine. Où en est-on ?

Sur ce point, les choses ont avancé : ces nouvelles boîtes sont en pharmacie depuis le 1er avril.

Quid de la question « avez-vous pris un antiépileptique pendant la grossesse ? », que vous souhaitez rendre obligatoire lors des diagnostics d’autisme ?

Là, ça traîne, l’instruction ministérielle n’est toujours pas rédigée. Ça fait quatre ans que j’attends. Je sais pourquoi : les généticiens susceptibles de poser un diagnostic d’autisme refusent de le faire car leur nom apparaîtra sur le document où la Dépakine sera désignée comme responsable et ils ont peur, alors, de perdre les subventions à la recherche que Sanofi donne à leur établissements.

Qu’en est-il, enfin, des risques liés à la prise, par des femmes enceintes, de Dépakote ou de Dépamide, ces médicaments contre les troubles bipolaires qui contiennent eux aussi du valproate de sodium, la molécule incriminée dans les malformations ?

L’information est encore moins bien passée sur ce sujet que sur la Dépakine. C’est grave, car aujourd’hui, en France, il y autant de prescriptions pour traiter la bipolarité que pour traiter l’épilepsie. Mais je travaille avec l’Agence européenne du médicament sur un nouveau packaging des boîtes de ces médicaments pour que la mention « interdit aux femmes enceintes » y figure bientôt.

Propos recueillis par Elodie Lepage

*Robert Laffont, 2017.

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