Ouest-france, 12 septembre 2024
Marine Martin attendait cette décision depuis une douzaine d’années. Le tribunal judiciaire de Paris a condamné lundi la société Sanofi à lui verser, à elle et ses deux enfants, une indemnité de 285 000 €, qui couvre les préjudices de pertes de « gains professionnels » et « d’anxiété », pour « défaut d’information des risques malformatifs et neurodéveloppementaux de la Dépakine qu’elle commercialisait et du maintien en circulation d’un produit qu’elle savait défectueux ».
Le combat judiciaire de Marine Martin contre le groupe pharmaceutique français,
accusé de ne pas l’avoir informée des risques du traitement antiépileptique pris pendant ses deux grossesses, est loin d’être terminé. | DR
Ce médicament antiépileptique qu’elle a pris pendant ses grossesses est à l’origine de malformations et de troubles dont souffrent depuis la naissance, à des degrés divers, Salomé et Nathan, 25 et 22 ans.
Cette lanceuse d’alerte, née à Toulouse, a fait ses études à Angers de 1982 à 1993, au lycée Chevrollier où elle a rencontré son époux, puis à la faculté de langues de l’université. Le couple qui réside à Perpignan revient régulièrement dans le Maine-et-Loire, où demeure une partie de sa famille.
Marine Martin a créé en 2011 l’association Apesac, qui a largement contribué à donner un écho médiatique et judiciaire à ce dossier, un des plus importants de ces dernières années en matière de santé publique.
Que pensez-vous de cette décision ?
Marine Martin : « Ce jugement favorable était inespéré. Sanofi s’est vraiment acharné sur mon dossier car j’étais la lanceuse d’alerte. Le laboratoire a fait révoquer des experts ou reporter des examens, de manière à faire traîner la procédure. Je suis certaine que leurs avocats feront appel de cette décision ».
Que représente cette indemnisation ?
« On va toucher l’argent mais on devra le déposer à la banque car on sera obligé de le rendre si on perd en seconde instance. Un appel, c’est un délai supplémentaire de deux ans, sans compter un pourvoi en cassation. »
Avez-vous d’autres fers au feu ?
« On a attaqué Sanofi dans tous les sens. Au civil, à titre individuel, mais aussi au pénal, en 2015. J’espère une clôture de l’enquête avant la fin de l’année pour un procès en 2026. On a poursuivi l’État l’année suivante au tribunal administratif. L’association que je préside a gagné en 2022 la première action de groupe menée en France en matière de santé. Un appel est en cours. Un fonds d’indemnisation a enfin été mis en place en 2017. Plus de 80 millions d’euros d’argent public ont déjà été versés aux victimes, sans que l’État puisse recouvrer les créances que Sanofi refuse de payer. C’est une vraie guerre des nerfs. »
Comment tenez-vous ?
« J’étais responsable dans la logistique. J’ai rapidement dû réduire mon activité pour m’occuper de mon fils handicapé, qui avait besoin d’une lourde prise en charge. Je ne connaissais rien en droit, rien au niveau médical. Je travaille maintenant à la maison pour l’association et suis reconnue comme aidante familiale. Mes victoires devant la justice me reboostent pour continuer ce combat. Je ne lâcherai rien à Sanofi : on a pris perpétuité avec mes enfants handicapés. »
Avez-vous inspiré d’autres causes ?
« Je travaille sur d’autres médicaments antiépileptiques qui sont cytotoxiques. Je me suis battue pour qu’il y ait des pictogrammes sur les boîtes de médicaments. Je suis devenue patiente experte à l’Agence du médicament (ANSM). J’ai aidé des associations dans d’autres scandales sanitaires, comme ceux des implants contraceptifs Essure et du progestatif Androcur. J’essaie de bien m’entourer, avec peu de financements, en dehors des cotisations des 430 adhérents. »
La Dépakine continue-t-elle d’être délivrée ?
« Je n’ai pas demandé à ce qu’elle soit interdite. Je suis consciente que c’est le seul médicament qui reste efficace pour certaines femmes. Mon but, c’est qu’il soit prescrit en dernière intention et que la bonne information soit donnée, aux patientes comme aux patients. Il a en effet été démontré qu’il était également nocif chez l’homme pour sa descendance (6 % de troubles neurodéveloppementaux chez les enfants dont le père a pris cet anticonvulsivant dans les trois mois avant la conception). La notice a été modifiée mais il n’y a toujours pas de formulaire d’accord des soins pour recueillir leur consentement. On est encore à la traîne. »
Article source : ENTRETIEN. La lanceuse d’alerte contre la Dépakine a fait condamner Sanofi : « Le combat continue »
Par Anthony PASCO