Challenges, 10 septembre 2024
Alors qu’un jugement défavorable pour Sanofi sur la Dépakine vient d’être rendu, le géant pharmaceutique français inaugure, ce mardi près de Lyon, en présence d’Emmanuel Macron, une usine modulable unique au monde. De quoi concrétiser un peu plus son recentrage vers les traitements innovants.
Le site de Sanofi de Neuville-sur-Saône, en mars 2022. La nouvelle unité de production de vaccins et biomédicaments sera opérationnelle fin 2025.
Ce devait être un formidable coup de projecteur pour Sanofi. Le président Emmanuel Macron se déplace, ce mardi 10 septembre dans l’après-midi, sur le site du géant pharmaceutique français à Neuville-sur-Saône, près de Lyon, pour inaugurer sa « nouvelle unité de production révolutionnaire » de vaccins et de médicaments biologiques. Une première mondiale, insiste le groupe pharmaceutique, qui y a investi près de 500 millions d’euros avec l’aide de l’Etat. Mais c’était sans compter sur le calendrier de la justice qui vient quelque peu ternir la fête en faisant resurgir le scandale de la Dépakine. Sanofi a été condamné hier à verser 284 867,24 euros d’indemnités à une famille (lire encadré).
Une « usine du futur » près de Lyon
C’est dans l’ombre de cette affaire et dans l’attente de l’issue d’autres procédures lancées par des dizaines de familles, que Sanofi franchit, en Rhône-Alpes, un jalon déterminant de sa stratégie visant à devenir le leader mondial de l’immunologie, la science qui planche sur le système immunitaire.
D’une superficie de 24 000 mètres carrés, la nouvelle unité de production de Neuville-sur-Saône inaugurée ce mardi est la vitrine du recentrage du groupe pharmaceutique vers les médicaments innovants pour traiter des maladies comme l’asthme, la sclérose en plaques, le diabète de type 1 ou encore la bronchite chronique.
Cette « usine du futur », comme la décrit l’Elysée dans un communiqué, a de quoi faire oublier à l’exécutif que Sanofi a choisi l’Allemagne, début août, pour y investir 1,3 milliard d’euros dans une nouvelle installation de production d’insuline. Grâce à un processus modulable et digitalisé, l’usine neuvilloise pourra fabriquer jusqu’à quatre vaccins ou biomédicaments simultanément. Un véritable tour de force dans le secteur très contraint des médicaments.
Une usine opérationnelle fin 2025
Traditionnellement, les bâtiments sont chacun dédiés à un produit pour éviter les risques de contaminations entre les matières nécessaires à leur fabrication. Les configurations validées par les autorités de santé ne sont pas autorisées à être modifiées. Le groupe souligne que cela « empêche tout changement rapide des capacités de production, par exemple pour intégrer l’arrivée d’un nouveau médicament ou augmenter rapidement la production d’un vaccin en cas de pandémie ».
Cette usine pourra aussi se reconfigurer en quelques jours ou quelques semaines pour changer de production. C’est-à-dire passer à des vaccins viraux atténués, à protéine recombinante ou encore à ARN messager, ainsi qu’à des traitements issus de biotechnologies comme les enzymes ou les anticorps monoclonaux. Alors qu’il faut plusieurs mois, voire plusieurs années, pour transformer les sites classiques.
L’unité, qui emploiera 320 personnes, a ainsi été conçue pour regrouper « l’équivalent de 34 mini-usines standardisées, dotées d’équipements interconnectés, modulables selon la technologie requise, afin de configurer la chaîne de production correspondante aux besoins du moment », détaille Sanofi. L’unité sera opérationnelle fin 2025, après la période de qualification des installations et de validation des procédés de fabrication par les autorités sanitaires.
Le patron de Sanofi tient la barre
Paul Hudson, le directeur général du groupe, ne cache pas sa fierté : « Nous avons tout réinventé, de la conception du bâtiment à la façon dont nous avons collaboré avec les autorités de santé, pour imaginer une usine qui sera la plus à même de répondre aux enjeux de santé des patients en France et dans le monde entier », se félicite-t-il dans un communiqué.
Chef d’orchestre du plan stratégique « Play to Win » qu’il a initié fin 2019, le patron britannique met les bouchées doubles pour transformer Sanofi (43,07 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023) en champion des médicaments innovants. Il a annoncé, il y a près d’un an, que le groupe allait investir 700 millions d’euros supplémentaires par an en recherche et développement ces deux prochaines années et se séparer de sa branche grand public, qui fabrique notamment le Doliprane, à partir de la fin 2024.
L’action de Sanofi est remontée en Bourse
Ces annonces ont valu au fleuron tricolore une déculottée sévère en Bourse. Payant les ratés de sa recherche et développement depuis plusieurs années, le groupe a perdu jusqu’à 25 milliards d’euros de capitalisation en quelques heures. Depuis, les marchés se sont réconciliés avec Sanofi.
Le groupe, dopé par son médicament star Dupixent aux indications toujours plus larges, par de beaux lancements comme le vaccin contre la bronchiolite Beyfortus et, plus récemment, par des résultats cliniques jugés prometteurs sur la sclérose en plaques, a retrouvé la cote auprès des investisseurs. L’action a gagné 10 % le mois dernier, s’installant à nouveau au-dessus des 100 euros.
« La décision de la direction de renforcer graduellement le moteur de la recherche – un paramètre clé pour une entreprise pharmaceutique innovante — devrait maintenant bénéficier au groupe sur le long terme », estiment les analystes d’AlphaValue.
Sanofi va supprimer 330 emplois dans l’oncologie
Mais ce virage vers l’immunologie ne se fera pas sans casse sociale. Sanofi a décidé d’arrêter certains projets de recherche en oncologie, un domaine où il a subi des échecs et accuse un gros retard sur ses concurrents. Dans le cadre d’un plan de départs présenté aux syndicats en avril, 330 postes seront supprimés en France dans la R&D, principalement sur le site de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).
L’affaire Dépakine rattrape Sanofi
Dans un jugement rendu lundi 9 septembre, révélé par Le Monde, le tribunal judiciaire de Paris a condamné Sanofi à verser 284 867,24 euros d’indemnités à Marine Martin et ses deux enfants après douze ans de procédure. La mère de famille se battait pour faire reconnaître la responsabilité du laboratoire dans les malformations et troubles neurodéveloppementaux dont souffrent ses enfants, à cause de cet antiépileptique lancé en 1967. Pour la justice, le groupe est « responsable d’un défaut d’information » sur les risques, ainsi que « du maintien en circulation d’un produit qu’elle savait défectueux, et d’une faute de vigilance ». Interrogé par le quotidien, Sanofi répond qu’il « se réserve le droit de faire appel ».
Article source : À Neuville-sur-Saône, Sanofi mise gros sur son usine « révolutionnaire » de vaccins et biomédicaments
Par Isabelle de Foucaud