L’OBS
Après le dépôt d’une plainte par une mère de famille vivant à proximité du site Sanofi des Pyrénées-Atlantiques qui fabrique l’antiépileptique, la lanceuse d’alerte Marine Martin décrypte ce nouveau volet de l’affaire pharmaceutique.
Une affaire peut en cacher une autre. Le 19 novembre, « le Monde » révélait la plainte contre X pour mise en danger d’autrui déposée auprès du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris par une mère de famille travaillant près de l’usine Sanofi de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), qui fabrique la Dépakine, un antiépileptique largement prescrit. Cette femme, Mélanie S., soupçonne en effet le site industriel d’être responsable des troubles du développement et des problèmes de santé de ses deux enfants en raison des émissions dans l’atmosphère de valproate de sodium, le principe actif du médicament. Il est déjà prouvé que la substance provoque ces mêmes troubles chez les enfants exposés in utero lorsque les femmes enceintes prennent de la Dépakine.
Depuis des années, de multiples procédures judiciaires ont été lancées à l’initiative de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), association créée et présidée par la lanceuse d’alerte Marine Martin, qui a elle-même pris de la Dépakine pendant ses grossesses et dont les deux enfants sont nés avec des malformations et des troubles du développement. En 2022, le tribunal judiciaire de Paris a jugé recevable une action de groupe lancée par l’Apesac, estimant que Sanofi avait « manqué à son obligation de vigilance et d’information ». La même année, le laboratoire a par ailleurs été condamné à indemniser une première famille. En ce qui concerne l’usine de Mourenx, deux plaintes ont été déposées, l’une par la CGT, l’autre par l’Apesac, donnant lieu à l’ouverture d’une information judiciaire en 2022. Pour « l’Obs », Marine Martin revient sur ce nouveau volet du scandale sanitaire de la Dépakine.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’usine de Mourenx ?
Marine Martin En 2018, Mediapart a fait un premier article sur les rejets toxiques de l’usine Sanofi de Mourenx. J’avais déjà rencontré les délégués syndicaux de Sanofi, ils m’avaient dit : « Viens, on va défendre les salariés de Mourenx. » Mélanie S. m’a ensuite contactée. Son fils souffre d’autisme et d’un problème aux testicules et sa fille présente des retards de développement. Le bureau de Mélanie S. se trouve juste en face de l’usine Sanofi, alors j’ai tout de suite pensé qu’il serait intéressant de mesurer son taux de Dépakine. Elle m’a écoutée et comme le test est revenu positif, Mélanie S. a commencé à rassembler les éléments de son dossier. C’est à ce moment-là que l’Apesac s’est jointe à la plainte de la CGT, en ajoutant le qualificatif « mise en danger d’autrui » – la plainte de la CGT était davantage axée sur les questions environnementales.
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Que pensez-vous de la démarche de Mélanie S. ?
Je suis ravie qu’elle ait fini par déposer une plainte, car le cheminement a été difficile pour elle. Elle est cadre, elle avait peur de perdre son travail. Depuis, une dizaine de familles qui habitent près de l’usine de Mourenx et dont les enfants souffrent de troubles autistiques, d’épilepsie, etc., nous ont contactés et envisagent de porter plainte. Je suis convaincue que la pollution environnementale dans la région est conséquente. Des milliers de personnes ont probablement été exposées.
Le danger est d’autant plus démultiplié qu’une étude publiée cet été démontre également un risque pour les enfants quand les pères prennent de la Dépakine au moment de la conception. On peut penser qu’il en est de même pour ceux qui vivent près de l’usine. On cherche à recueillir des témoignages au sujet d’enfants nés entre 2012 et 2018, car les relevés de rejets toxiques ont eu lieu à cette période. Il faudrait aussi recueillir toutes les données de santé qui concernent les enfants du bassin de Lacq [complexe industriel où se trouve l’usine, NDLR] : les prises en charge par des psychomotriciens, les diagnostics d’autisme, etc., et les comparer à la moyenne nationale.
Comment jugez-vous l’attitude de Sanofi ?
Comme d’habitude, Sanofi nie et ne fait preuve d’aucune éthique. Le laboratoire réfute le lien entre les rejets dans l’environnement de son usine et les problèmes de santé des habitants à proximité. Sanofi a par ailleurs toujours refusé de participer au fonds d’indemnisation des victimes de la Dépakine. Ironie de l’histoire, à l’heure où l’on parle de faire revenir la production pharmaceutique en France, la seule usine au monde qui produise de la Dépakine intoxique les riverains. Mais voilà, Sanofi est un fleuron de l’industrie française, défendu par le gouvernement…
Le risque est-il désormais écarté aux alentours de l’usine ?
Les filtres qui laissaient s’échapper le valproate de sodium ont été changés, mais je ne suis pas sûre qu’il n’y ait plus d’émissions. Pour en avoir la certitude, il faudrait des prélèvements ainsi que des études indépendantes.
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Vous avez vous-même attaqué Sanofi en justice en 2012. Où en êtes-vous de votre combat personnel ?
Comme d’autres familles, nous avons reçu des propositions d’indemnisation de la part de l’Office national d’Indemnisation des Accidents médicaux (Oniam) : 360 000 euros pour mon fils, 100 000 pour ma fille, 16 000 euros pour leur père, 16 000 euros pour moi. J’ai, pour ma part, refusé l’argent. Je préfère continuer mon combat judiciaire.
Source : Bérénice Rocfort-Giovanni