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L’ANSM veut changer les pictogrammes d’avertissement pour les femmes enceintes sur les boîtes de médicaments, un sondage contredit ses arguments

Factuel

SONDAGE EXCLUSIF – À la demande de la Direction générale de la santé, un comité scientifique travaille à la création de nouveaux pictogrammes pour les médicaments, jugeant les logos actuels impropres à la compréhension du public. Un sondage Ipsos contredit toutefois ce constat et démontre une bonne compréhension des Français.

 

L’Agence du médicament (ANSM) a été chargée par la Direction Générale de la Santé (DGS) de travailler à une nouvelle version des pictogrammes « femmes enceintes » apparaissant sur les boîtes de médicaments. Pour cela un comité scientifique temporaire, composé de 19 membres, a été mis en place, le 24 janvier 2023. Sollicitée par Factuel, l’ANSM n’a répondu à aucune de nos questions, et nous a dirigé vers une page de son site internet, sur laquelle les missions de ce conseil temporaire sont détaillées.

Le premier objectif de ce comité est « d’actualiser et de compléter l’état des lieux issu de précédentes concertations menées par la direction générale de la santé auprès des différentes parties prenantes » et de « réévaluer les critères conduisant à l’apposition d’un pictogramme et de proposer, le cas échéant des modifications du dispositif d’apposition du pictogramme ». Le travail de ce comité scientifique n’est pas encore officiellement communiqué au public, l’avancement de ses travaux se lit au travers des comptes-rendus publiés sur le site de l’Agence du médicament. Les nouveaux pictogrammes doivent, eux, apparaître sur le marché dès 2024.

Le rôle du pictogramme « femme enceinte »

La réglementation, imposée par le décret N°2017-550 du 14 avril 2017, modifiant l’article R5121-139 du Code de la santé publique, prévoit que les fabricants doivent apposer un pictogramme spécifique sur les boîtes de médicaments présentant des risques pour le fœtus. Ainsi, le 17 octobre 2017, un nouveau logo apparaît officiellement sur les boîtes de médicaments. Le pictogramme « femmes enceintes » se dessine ainsi sur plus de 60% des produits vendus en officine.

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Les fabricants de médicaments doivent apposer ce pictogramme sur les boîtes de médicaments présentant des risques pour le fœtus.

Son objectif est d’améliorer la visibilité de l’information contenue dans les notices sur les risques des médicaments pris durant la grossesse et se décline en deux versions. Une première qui indique « le nom du médicament + grossesse = danger – le médicament ne doit être pris que si aucune autre alternative thérapeutique n’est possible ». Puis une deuxième version affiche le mot « interdit », qui exclut de facto et radicalement toute prise de la molécule pendant la grossesse. La création et la mise en place de ces logos s’inscrivent dans la suite du scandale Dépakine de 2009.

Dans une dynamique de transparence et de protection des utilisatrices, la DGS avait travaillé avec la lanceuse d’alerte et présidente de l’association Aide aux familles des victimes du médicament anticonvulsivant (Apesac), Marine Martin, à la mise en place de pictogrammes à l’attention des femmes enceintes. Ainsi, l’information sur les risques associés à la prise de médicaments pendant la grossesse et qui n’apparaissait jusque-là que dans les notices, s’est trouvée renforcée.

L’efficacité de ce pictogramme est toutefois remise en question. De quoi inquiéter une partie des professionnels de santé, comme le docteur Sophie Bauer, présidente du Syndicats des Médecins Libéraux. « C’est absolument incroyable de remettre en question ces pictogrammes. En ce qui me concerne, je trouve qu’ils sont très bien compris par le public. Pour nous, plus c’est simple, mieux c’est. »

Marine Martin, à l’origine de la création de ces logos sur les boîtes de médicaments en 2017, a commandé, au nom de l’Apesac, un sondage Ipsos, afin de mesurer le niveau de compréhension du public des logos actuels et de ceux à venir. Les conclusions du sondage sont sans équivoque. Les pictogrammes sont clairs et les messages compris.

Sondage IPSOS

Le sondage (nos preuves) a été réalisé en juin 2023, sur un échantillon de 1000 personnes, représentatif de la population. Selon ses conclusions (nos preuves), les différents pictogrammes présentés aux participants leurs sont familiers. 95% des personnes interrogées les associent correctement aux femmes, 84% les trouvent utiles et seulement 7% des personnes interrogées estiment ces pictogrammes anxiogènes.

L’analyse dans le détail des réactions des consommateurs face aux pictogrammes distingue essentiellement deux types de réaction chez les Français. 64% chercheraient à se renseigner auprès d’un professionnel de santé, 35% iraient s’informer pour connaître les risques potentiels, et seulement 26% arrêteraient le traitement sans consulter de médecins.

84% des Français consultés pour le sondage associent clairement le pictogramme rond barré avec femme enceinte à une

« interdiction » de consommation pour les femmes concernées. 83% d’entre eux estiment que ce pictogramme est le plus adapté, lorsqu’il s’insère dans une cartouche complétée du message rédigé.

Ipsos a également proposé au panel une nouvelle version de pictogrammes. Un visuel similaire à celui appelant à la vigilance en cas de conduite de véhicules. Il s’agit donc de trois triangles à fond jaune, orange et rouge, au milieu desquels se trouve une femme enceinte. Officiellement, l’ANSM n’a pas divulgué le résultat de ses travaux. « Nous avons réalisé cette version en conclusion de ce que nous avons lu dans les différents comptes-rendus de l’agence du médicament. Plusieurs éléments ressortent sur ce que le comité souhaite retenir, et les triangles de couleurs différentes en résultent », explique Marine Martin, commanditaire du sondage.

Dans sa séance du 22 juin 2023, le comité scientifique évoque en effet la piste d’un dispositif reposant sur « une échelle de gradation, à la manière du Nutriscore, qui s’étendrait par exemple de la mention « interdit » à la mention « consultez votre professionnel de santé ». Contrairement à un pictogramme apposé de manière isolée sur une boite, sans point de comparaison, cette échelle permettrait aux usagers de mieux comprendre où se situe le niveau de risque du médicament en disposant d’un référentiel visuel. »

Pourquoi changer un visuel devenu familier ?

Christine D., pharmacienne depuis 10 ans dans la banlieue lyonnaise, ne voit pas l’intérêt d’un tel changement : « Jusqu’ici, la grille de lecture est simple, barré dit que c’est interdit, dans un triangle que c’est dangereux. Cela dépend de ce qu’ils souhaitent mettre en place, mais je ne vois pas comment être plus clair. »

Pourtant, c’est bien la clarté du message qui est remise en question par l’agence du médicament et la DGS. La présidente de l’Apesac explique que « le pictogramme a été jugé « trop effrayant », « pas assez clair » par certains membres du comité chargé d’évaluer son utilité ». Pourtant, détaille l’initiatrice du pictogramme « femme enceinte », l’ambition première était de créer un visuel simple qui interpelle, simple à comprendre, notamment pour les populations ayant des difficultés d’accès à la communication écrite. « Une signalétique claire et compréhensible par tous est nécessaire pour éclairer les décisions des patientes ». Si cette position peut sembler partiale, venant de l’instigatrice du pictogramme, d’autres voix sont venues s’ajouter à la sienne.

C’est le cas de la sénatrice Jocelyne Guidez (Essonne UC), qui a posé la question au ministre de la Santé, le 11 mai 2023 : « Pendant des années, l’absence de signalétique a été trompeuse, faisant croire aux patientes que le médicament était un produit comme les autres, sans danger. […] Ce pictogramme fait partie des informations capitales pour anticiper, et, parfois même éviter aux femmes enceintes de recourir aux avortements médicaux. Or, cette réévaluation intervient sans qu’aucune difficulté notable de compréhension n’ait été signalée par les patientes. En conséquence, pourquoi et de quelle manière, le comité scientifique temporaire de l’ANSM entend réviser ces pictogrammes clairs, simples à comprendre et utiles à la prévention des risques ? Un retour en arrière n’est pas envisageable et risquerait d’entraver le consentement éclairé des patientes », publiée dans le JO Sénat du 11/05/2023 – page 3026. Selon Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention, chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, « des retours de terrain ont notamment montré que certaines patientes pouvaient arrêter brusquement leur traitement, mettant leur santé en danger ».

Quels retours de terrain ?

Les retours dont parle la ministre ont officiellement commencé le 30 septembre 2019, avec la publication d’un communiqué de presse de l’Académie nationale de pharmacie. Le pictogramme serait, selon l’académie, trop fréquemment utilisé sur des produits dont le risque « n’est pas avéré », ce qui le rendrait « contre-productif ». « À ce jour, 60 à 70% des spécialités sont dotées de l’un de ces pictogrammes, alors que seules 10% des spécialités disponibles sur le marché français devraient être concernées par une telle mesure, en raison d’un risque embryonnaire ou foetal avéré chez l’humain », précise le communiqué, ajoutant qu’« étant donné l’absence de liste officielle de médicaments relevant de cette disposition, les fabricants sont incités à élargir le champ d’application de ces pictogrammes dans un souci médico-légal », pour protéger leur responsabilité, ajoute l’institution. 

La question de la responsabilité est néanmoins importante. La modification voulue par l’ANSM pourrait, selon la présidente du Syndicat des Médecins Libéraux, dédouaner les laboratoires pharmaceutiques de toute responsabilité. « Il sera difficile de trouver un responsable en cas de problème. » Et d’ajouter : « Pour nous, les précautions avec les femmes enceintes sont capitales. Je les invite même, pendant leurs grossesses, à faire attention aux produits cosmétiques qu’elles utilisent, parce qu’ils sont bourrés de perturbateurs endocriniens, alors les laisser prendre des médicaments sans sécurité maximale, pour moi c’est non ».

Au regard des décisions du comité scientifique temporaire, il est clairement établi que la responsabilité du pictogramme ne reposera plus uniquement sur les firmes pharmaceutiques. Si jusqu’ici, elles décidaient seules du champs d’application de cette précaution, aujourd’hui la décision d’appliquer le pictogramme serait partagée : « Les membres s’accordent sur le fait que le modèle actuel d’une décision laissée à la main des industriels n’est pas satisfaisant et doit évoluer. Des propositions pourront être faites dans le cadre de ce Comité Scientifique Temporaire afin de permettre à l’agence de se positionner de manière éclairée. » (compte-rendu ANSM 22/06/2023)

Source: Anissa Arfaoui 


 

 

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