Les Echos
En ces temps de vacillement démocratique, les lanceurs d’alerte sont plus que jamais les vigies du bien commun. Ils constituent les filets de sécurité de nos démocraties. Or, bien qu’en première ligne pour la défense de l’intérêt général, ils paient un lourd tribut : menaces, mise au ban, licenciement, emprisonnement…
Pour mettre fin à cette injustice, la loi Sapin II a posé en 2016 les bases d’un premier statut global de lanceur d’alerte en droit français. Malgré ces avancées, cette loi présentait des failles. La directive européenne de 2019, adoptée grâce à la mobilisation de la société civile, pallie ces lacunes, en supprimant notamment l’obligation d’alerte interne préalable et en créant un statut de facilitateur ( « qui aide le lanceur d’alerte »). Elle fixe un seuil minimal de garanties, assorti d’une clause qui interdit toute régression du droit national. L’objectif est de conserver les acquis et de renforcer les droits, en surtransposant, si besoin, afin d’obtenir un dispositif complet et cohérent.
C’est pourquoi notre coalition d’associations et de syndicats a publié 12 propositions en amont de la loi de transposition du député Sylvain Waserman. Adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 17 novembre, ce texte reprend un certain nombre de nos revendications : protéger les organisations facilitatrices, renforcer le rôle du Défenseur des droits, prémunir les lanceurs d’alerte contre les procédures abusives, ou encore leur offrir une aide financière et psychologique. Hélas, le 15 décembre, la Commission des lois du Sénat, violant la lettre et l’esprit de la directive, a soumis au vote un texte annihilant tant les droits acquis par le droit national depuis 2007 que par cette directive elle-même.
Principal recul : seuls les lanceurs d’alerte dénonçant des violations du droit, et non plus une « menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général », seraient désormais protégés. Avec cette définition, Irène Frachon avec le Mediator ou Antoine Deltour avec l’optimisation fiscale au Luxembourg se verraient refuser toute protection.
Signaler un virus inconnu, des bébés sans bras, des algues tueuses, une substance chimique nocive autorisée sur le marché (Chlordécone, Dépakine)… n’entreraient plus dans la définition de l’alerte.
À rebours de la loi Sapin II, cette définition exclut aussi l’usager, le patient ou le simple citoyen. C’est l’essence même du droit d’alerte qui est menacée : celle de stimuler le débat d’intérêt général et faire évoluer mentalités et législations. Non contente de réduire sa portée, la Commission des lois du Sénat propose d’affaiblir la protection accordée aux lanceurs d’alerte en supprimant celle des associations « facilitatrices », alors même qu’elles jouent un rôle essentiel pour préserver leur identité, briser leur solitude et leur apporter conseils et expertise. Elle vide de sa substance le principal mécanisme de soutien financier de la loi Waserman : la provision pour frais versée au lanceur d’alerte qui fait face à des poursuites juridiques.
Elle viole les exigences de la directive européenne en renforçant les conditions permettant à un lanceur d’alerte de faire une divulgation publique, au risque de priver les citoyens d’informations fiables sur des sujets d’intérêt général. Le 19 janvier, cette proposition de loi sera débattue au Sénat. Alors qu’elle vient de prendre la présidence de l’Union européenne, la France, qui s’était dotée avec la loi Sapin II d’une des quatre législations les plus avancées au monde, risque de devenir la « lanterne rouge » de l’Europe.
Nous appelons solennellement les sénateurs à rétablir a minima le texte de l’Assemblée nationale et à se saisir pleinement des propositions de notre coalition afin de clarifier et renforcer notre dispositif de protection des lanceurs d’alerte.