L’Humanité
Le tribunal judiciaire de Paris a jugé « recevable » l’action de groupe intentée par une association de victimes de l’antiépileptique. Pour la justice, le laboratoire a « manqué à son obligation de vigilance et d’information » entre 1984 et 2006.
Une étape décisive dans un combat au long cours. Mercredi, le tribunal judiciaire de Paris a reconnu que Sanofi avait bien « commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d’information » sur les risques pour le fœtus liés à son médicament en cas de prise pendant la grossesse. La justice se prononçait là dans le cadre d’une action de groupe, la première en France en matière de santé, lancée en mai 2017 par l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Ape- sac), animée par Marine Martin. « C’est une très grande victoire après dix ans de combat, nous a confié la lanceuse d’alerte mercredi. La décision du tribunal est une reconnaissance supplémentaire de la nocivité de la Dépakine. J’espère que cela va faire changer d’attitude Sanofi, qui ne cesse de mépriser les victimes et refuse toujours de les indemniser. »
« Déconseillé » pendant la grossesse
Pour l’association, le laboratoire a beau- coup trop tardé à informer les patientes des risques de malformations ou de retards de développement chez les enfants dont les mères avaient reçu pendant la grossesse ce traitement lancé en 1967. Si son efficacité contre l’épilepsie n’est pas remise en question (le tribunal relève même qu’un « consensus scientifique » le considère comme un des « meilleurs au monde »), c’est le défaut d’alerte pour les femmes enceintes qui est pointé ici, justifiant l’action de groupe lancée par l’Apesac. Le tribunal a par ailleurs défini les périodes pendant lesquelles ce défaut de vigilance et d’in- formation était manifeste : à partir de 1984 pour le risque de malformations congénitales, mais seulement à partir de 2001 pour les troubles neurodéveloppementaux, les deux périodes s’achevant en 2006, date de la première mention sur la notice du médicament que celui-ci est « déconseillé » pendant la grossesse. « Si cette décision est une belle victoire, à la portée symbolique très forte, nous trouvons les périodes retenues trop restrictives, a commenté Me Charles Joseph-Oudin, l’avocat de l’Apesac et de nombreuses familles. Pour nous, le risque de troubles neurocomportemen- taux est connu dès 1984. Et le manque d’information persiste bien après 2006, au moins jusqu’en 2015. C’est ce que nous plaiderons en appel. »
Car, dès la décision connue mercredi, Sanofi a annoncé son intention de faire appel. Dans une déclaration transmise à l’AFP la veille, le laboratoire réaffirmait avoir « rempli son rôle (…) concernant l’actualisation des documents d’information du valproate de sodium (le nom scientifique de la Dépakine – NDLR) pour les professionnels de santé et les patients ». Et mercredi, il s’est étonné d’un juge- ment « pas en adéquation avec les premières décisions de justice, qui soit ne retiennent pas la responsabilité du laboratoire, soit constatent que la responsabilité prépondérante repose sur d’autres acteurs du système de santé », comme l’Agence du médicament (ANSM).
Pour Me Joseph-Oudin, « cette stratégie du déni doit cesser ». Tout comme le soutien aveugle de l’exécutif au laboratoire, ajoute Marine Martin. « J’espère qu’après une telle décision, l’État va en- fin demander des comptes à Sanofi. Au lieu d' »emmerder » les non-vaccinés, M. Macron ferait mieux d' »emmerder » un peu plus ce labo pour l’inviter à indemniser les victimes de son médicament. » De fait, depuis la mise en place effective, il y a deux ans, d’un dispositif d’indemnisation des victimes confié à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, c’est le contribuable qui finance ces versements, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année, et pas Sanofi. Selon l’as- surance-maladie et l’ANSM, la Dépakine serait responsable, depuis 1967, de malformations chez 2 150 à 4 100 enfants et de troubles neurodéveloppementaux chez 16 600 à 30 400 enfants.