TV5 Monde, le 03 Août 2020
A l’été 2016 éclatait le scandale de la Dépakine, un médicament prescrit dans le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires soupçonné d’être à l’origine de malformations graves chez le foetus. Quatre ans plus tard, la justice reconnaît pour la première fois la responsabilité de l’Etat français et le condamne à indemniser trois familles dont les enfants sont lourdement handicapés. Le groupe pharmaceutique Sanofi, qui commercialise la Dépakine, est mis en examen pour homicides involontaires.
Quatre ans après le scandale, la justice tranche. Le jeudi 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) condamne l’Etat à indemniser trois familles dont les enfants sont lourdement handicapés après avoir été exposés in utero à cet anti-épileptique. Le tribunal a aussi estimé que les responsabilités étaient également partagées, dans une moindre mesure, par les médecins prescripteurs.
Le 20 juillet, le groupe pharmaceutique Sanofi, lui, déjà poursuivi pour « tromperie aggravée » et « blessures involontaires » est également mis en examen pour « homicides involontaires ».
En mai 2019, un jeune homme de 20 ans, handicapé en raison de la prise de Dépakine par sa mère durant la grossesse avait obtenu 1,3 million d’euros du fonds d’indemnisation des victimes de ce médicament, rapportait Le Parisien.
Des milliers d’enfants touchés
Dépakine, Dépamine ou Depakote – ces médicaments à base de valproate, la molécule active du traitement, sont commercialisés depuis 1967 pour le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires. Le médicament est à l’origine d’un risque élevé de malformations congénitales sur le foetus s’il est pris par une femme enceinte.
A l’été 2016, déjà, une étude menée depuis l’an dernier par l’agence du médicament ANSM et la caisse nationale d’assurance maladie dévoilait que 14322 femmes enceintes ont été exposées au médicament entre 2007 et 2014 – soit 2 grossesses pour mille.
Depuis, 2150 à 4100 enfants sont nés souffrant de malformations congénitales et de troubles du développement dus à ce traitement administré pendant la grossesse. De 1967 à 2016, jusqu’à 100 000 grossesses auraient été exposées au valproate pour 41 200 à 75 300 naissances vivantes. Car « 40% des grossesses exposées au valproate n’arrivent pas à terme », précise Marine Martin, présidente de l’association de victimes Apesac.
L’étude met en évidence un risque plus élevé dans le cas des femmes traitées pour épilepsie: le risque de malformations congénitales majeures est alors multiplié par quatre pour l’enfant, tandis qu’il double pour celles traitées pour troubles bipolaires.
Telle est la conclusion de l’étude publiée le jeudi 20 avril 2017 par l’agence du médicament et de l’Assurance maladie. Un rapport portant sur près de 2 millions de femmes enceintes entre début 2011 et fin mars 2015. Mais « le nombre de victimes potentielles est gigantesque et irait jusqu’à 30 000 enfants », selon Marine Martin.
« L’étude confirme le caractère tératogène (cause de malformations, ndlr)très importantde ce médicament. Autour de 3000 malformations majeures, c’est particulièrement élevé« , dit le docteur Mahmoud Zureik, directeur scientifique de l’ANSM et co-auteur de la recherche. Parmi 26 malformations congénitales majeures étudiées, l’étude pointe des anomalies du système nerveux comme le spina bifida (absence de fermeture de la colonne vertébrale, cause de décès et de paralysie), des anomalies cardiovasculaires ou génitales.
Enquête et indemnisations
« Un scandale de santé majeur« , dénonce l’avocat Charles Joseph-Oudin, qui représente de nombreux plaignants réclamant des indemnisations. D’autant que « l’étude ne parle que des malformations physiques, ce n’est que la face émergée de l’iceberg » ajoute-t-il. Les troubles neurodéveloppementaux sont plus fréquents, comme l’autisme « qui va entraîner une dépendance et nécessiter l’aide d’une tierce personne à vie« , souligne Marine Martin,
Des juges d’instruction du pôle de santé publique de Paris ont été saisis d’une enquête sur la commercialisation de l’anti-épileptique et sa prescription. Une trentaine de dossiers de demandes d’indemnisation ont été déposés au tribunal de grande instance de Bobigny et à Nanterre. En outre « une action de groupe va faire l’objet d’une assignation« .
Lancée en décembre 2016, déposée le 17 mai 2017, c’est la première action de groupe dans le domaine de la santé, depuis que ce recours collectif a été introduit dans le droit français en 2014.
Totale transparence, selon Sanofi
De son côté, le laboratoire Sanofi, qui commercialise la Dépakine, assure avoir « fait preuve d’une totale transparence vis-à-vis des autorités de santé » et avoir été « à l’initiative de l’actualisation » de la notice et de l’information des médecins. De fait, depuis 2015, le valproate ne peut être prescrit aux femmes enceintes ou en âge de procréer qu’en cas d’échec des autres traitements, bien moins risqués. L’utilisation de cette molécule a ainsi chuté « de l’ordre de 30% ces deux dernières années chez les femmes en âge de procréer« , le docteur Mahmoud Zureik, directeur scientifique de l’ANSM et co-auteur de l’étude.
« Pour les troubles bipolaires, plus de 3/4 des traitements par valproate sont stoppés au 1er trimestre de la grossesse et par ailleurs l’observance du traitement est bien moins grande« , explique Mahmoud Zureik. Or « le risque de malformations majeures est limité aux deux premiers mois de grossesse« , précise le docteur Alain Weill, co-auteur de l’étude.
Par Terriennes, Liliane Charrier et Isabelle Mourgère, Source TV Monde