Nous Deux,
Elle est l’une des héroïnes d’un livre consacré à 12 lanceuses d’alerte françaises. En 2011, Marine Martin a dénoncé le scandale de la Dépakine, un médicament qui n’aurait jamais dû être prescrit aux femmes enceintes. Ses deux enfants figurent parmi les 7 000 victimes.
C’est, à ce jour, l’une de ses plus belles victoires. En octobre 2017, Marine Martin a obtenu l’apposition d’un pictogramme préventif « Grossesse » sur toutes les boîtes de médicaments. Rond, avec une femme enceinte barrée, il indique que le produit est interdit pendant la grossesse. Triangulaire, il informe qu’il présente un risque. « Ce sont des mises en garde simples qui m’ont évidemment amèrement manqué », déplore cette mère de deux enfants. C’est peu dire. Sa fille aînée, Salomé, née en 1999, développe des troubles du comportement. Et son fils, Nathan, né en 2002, présente une malformation génitale et des troubles autistiques. Pour elle, cela n’a alors rien d’une coïncidence. « J’ai mis dix ans à faire le rapprochement avec la Dépakine ». Depuis, elle s’est muée en lanceuse d’alerte. Pour les autres mamans et leurs enfants.
ELLE ARRÊTE DE TRAVAILLER POUR MENER SON COMBAT
Longtemps, Marine Martin a pris ce médicament sans se poser de question. Épileptique depuis l’âge de 6 ans, elle absorbe ce cachet ovale, vital à son bien-être. Elle sait que si elle arrête son traitement, elle risque de perdre connaissance. Pendant ses grossesses, elle en parle à ses médecins, qui lui assurent qu’il n’y a pas de problème. Or, son traitement a de lourdes conséquences, ce qu’elle découvre par elle-même, avec effroi, en 2009. « J’ai tout compris en faisant des recherches sur Internet. L’acide valproïque (ou valproate de sodium), principe actif de la Dépakine, figure parmi les molécules à bannir pendant la grossesse ! » Résultat : cet antiépileptique peut provoquer des malformations et des troubles neurologiques graves, dont l’autisme, chez les bébés qui y sont exposés dans le ventre de leur mère. « A un moment, cela vous dépasse et vous ne pouvez pas laisser faire », lâche-t-elle.
Marine Martin se lance alors dans un travail d’information pour retrouver d’autres victimes mais aussi empêcher de nouveaux drames. En mars 2011, elle fonde l’association Apesac (Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant). Son objectif est clair. « Je voulais à la fois alerter de futurs parents mais aussi obtenir justice et réparation pour des milliers d’autres familles touchées comme moi ». Longtemps, elle a du mal à s’identifier comme une lanceuse d’alerte. « C’est arrivé progressivement à partir du moment où, au-delà de mon cas personnel, j’ai dû m’arrêter de travailler en 2013 pour me consacrer à cette cause, monter au ministère de la Santé pour négocier avec le gouvernement ou intervenir à l’Assemblée nationale. Et puis, il y a un moment où vous sentez que vous gênez et que vous soulevez un vrai danger de santé publique ».
UN MANQUE DE RÉACTION DES AUTORITÉS SANITAIRES FRANÇAISES
En 2014, voilà ainsi cette mère de famille invitée à Londres pour s’exprimer devant la prestigieuse Agence européenne du médicament (EMA). L’instance a non seulement accepté de réévaluer le produit, mais a aussi exigé la réécriture de toutes les notices pour y faire figurer le risque. En 2015, un rapport de l’Igas, l’Inspection générale des affaires sociales, conclut également à un manque de réaction des autorités sanitaires françaises. Marine Martin dépose alors plainte au pénal contre le laboratoire Sanofi, qui commercialise le médicament, les médecins et les autorités de santé pour « tromperie aggravée » , « mise en danger de la vie d’autrui » et « non-signalement d’effets indésirables graves ».
En 2019, son association a identifié 700 victimes supplémentaires. « Nous avons passé la barre des 7 000 victimes ». Parmi les bonnes nouvelles, l’Etat français a ouvert en 2017 un exceptionnel fonds d’indemnisation pour les victimes de la Dépakine. « C’est une vraie avancée. Cependant, ces indemnisations sont lentes et inégales. Et, surtout, Sanofi refuse de contribuer au processus d’indemnisation des victimes. Pourquoi le contribuable devrait-il payer pour eux ? » Plus récemment, le 3 février, Sanofi a également annoncé sa mise en examen pour les délits de »tromperie aggravée » et de « blessures involontaires » dans l’affaire de la Dépakine. Le laboratoire compte arguer qu’il a prévenu l’Agence nationale du médicament de certains risques sans avoir été entendu. « L’Agence leur a demandé des études, en vain. Quoi qu’il en soit, cela ne les dédouane en rien de leurs responsabilités ».
L’ETAT L’A ENTENDUE, LE LABORATOIRE FAIT LA SOURDE OREILLE
Parfois, cette ancienne responsable logistique reconnaît qu’elle aimerait bien retrouver une vie « normale ». Mais chaque fois qu’elle a envisagé de reprendre sa vie professionnelle d’avant, elle a vite renoncé. « Je ne sais pas si j’en serais capable et j’aurais trop peur que des lobbies détruisent ce que nous avons construit ! » Ses enfants ont eux aussi bien compris le choix de leur maman. « Ce combat m’a volé beaucoup de temps que je préférerais passer avec eux, mais ils sont grands et ils ont compris que je me battais pour eux ». Quant à la Dépakine, Marine Martin a arrêté d’en prendre dès 2010. « J’ai fini par trouver un traitement dans un autre laboratoire. Avec le mal qu’ils m’ont fait, je ne supportais plus d’avoir leurs boîtes chez moi… »
Par Céline Jury
A lire :Les Résistantes de Florence Méréo, (éd. Harper Collins).
Marine Martin a publié Dépakine, le scandale (éd. Robert Laffont).
Source : Cet article a été publié dans le magazine Nous Deux numéro 3792 du 3 au 9 mars 2020.