Marianne
Sanofi a-t-il tout fait pour informer les femmes enceintes des risques potentiels de son médicament, la Dépakine ? Au vu des plaquettes publicitaires à destination des médecins, diffusées dans les années 2004-2005 et ressorties par le « Canard enchaîné » ce mercredi, on n’est pas obligé de le croire…
Sanofi a-t-il fait son possible pour prévenir les femmes enceintes sous Dépakine des effets secondaires que risquaient leur futur bébé ?Si, depuis l’éclatement de ce nouveau scandale sanitaire, le laboratoire tente de renvoyer la responsabilité à l’Etat et à son Agence du médicament – estimant avoir « rempli ses obligations de suivi de sécurité de son médicament et alerté l’autorité de santé » -, les documents publiés par le Canard enchaîné ce mercredi 23 novembre ne plaident pas en sa faveur. Loin de là. Car pendant que Sanofi « alertait l’autorité de santé« , Sanofi continuait surtout à assurer la promotion de la Dépakine auprès des médecins, dans des plaquettes publicitaires bien peu fournies en mises en garde.
Comme l’a résumé l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport publié fin février, il existait des signaux, des informations sur les risques présentés par l’antiépileptique Dépakine pour les foetus et ce, dès 1988, soit plus de 20 ans après sa commercialisation. En 2002, la France assiste à une réunion européenne où le manque d’information des patientes est pointé. Des pays modifient leurs notices dès 2003-2004, période où « l’accumulation des signaux justifiait des mesures d’information à l’attention des prescripteurs et des patients« , a jugé l’Igas a posteriori. Il faudra toutefois attendre 2006 pour que l’Agence française du médicament « déconseille » la Dépakine aux femmes enceintes. Et 2010 pour qu’on puisse lire sur la notice que la prise de Dépakine durant la grossesse est susceptible d’entraîner des malformations du foetus, des troubles du développement et des troubles autistiques chez l’enfant. En attendant ces évolutions, Sanofi continue de communiquer sans précaution, ou presque.
« Le rapport bénéfice-risque doit être évalué »
Ainsi, en 2004, le laboratoire envoie ses visiteurs médicaux faire le tour des médecins avec une plaquette d’information de 16 pages sous le bras concernant la Dépakine. Dix lignes seulement sont consacrées aux cas de grossesse, dans des termes bien peu alarmants, rapporte le Canard :
« Lorsqu’une grossesse est envisagée, réévaluation de la pertinence du traitement antiépileptique, puis préparation de la grossesse. »
Pas de notion de « risque » ou de « danger ». Un autre document promotionnel explique en 2005 que « chez la femme susceptible d’être enceinte, le rapport bénéfice-risque doit être évalué au regard du risque tératogène [malformations, ndlr] du valproate« . En parallèle, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ne se remue pas non plus franchement. Comme vu plus haut, c’est en 2006, face à de nombreux signaux d’alerte, qu’elle accepte de modifier les conditions de prescription de la Dépakine en la « déconseillant » aux femmes enceintes. Surtout, pas d’interdiction.
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La trop grande proximité entre les labos et l’Agence du médicament pourrait expliquer cette décision légère. Le Canard enchaîné a décortiqué la liste des 83 experts qui siégaient à l’ANSM cette année-là et ne peut s’empêcher d’avoir de lourds soupçons de conflits d’intérêts. Sur ces 83, au moins 32 avaient de fait des intérêts avec Sanofi, à travers la participation à des Congrès notamment, ou encore via des études payées par le labo. Pis, huit ont même reçu des « rémunérations personnelles« .
La même Agence du médicament a rendu publique cet été une étude dénombrant les femmes enceintes ayant continué à prendre de la Dépakine, même après 2006. Le médicament a été prescrit à 14.000 d’entres elles entre 2007 et 2014. Aujourd’hui, 10% de leurs enfants souffrent de malformations et 30% à 40% sont atteints de troubles du comportement. Le 16 novembre, les députés ont voté à l’unanimité la mise en place d’un fonds d’indemnisation piloté par un comité. Comme Sanofi a refusé d’indemniser à l’amiable et a priori les victimes, ce comité sera chargé de se prononcer « sur la responsabilité des professionnels ou établissements de santé, de l’exploitant [Sanofi, ndlr] ou de l’Etat« . Seul moyen pour que le laboratoire pharmaceutique accepte in fine de prendre sa part dans l’indemnisation de ces familles…
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Source : Marianne