TV5 Monde
Sept ans après le Mediator, en cet été 2016, l’affaire de la Dépakine, un antiépileptique qui présente des risques élevés pour la santé du foetus, est en passe de s’imposer comme un nouveau scandale sanitaire à retardement qui pourrait avoir fait des milliers de victimes en France, et au delà. 14322 femmes enceintes ont été exposées au médicament entre 2007 et 2014, selon une étude publiée par les autorités sanitaires ce mercredi.
Les résultats de l’étude sur le valproate (Dépakine, commercialisée par Sanofi depuis 1967 et génériques) menée depuis l’an dernier par l’agence du médicament ANSM et la caisse nationale d’assurance maladie viennent d’être dévoilés : 14322 femmes enceintes ont été exposées au médicament entre 2007 et 2014. Cela représente environ deux grossesses pour mille.
Cette première étude chiffrée montre également que ces femmes ont donné naissance à 8701 enfants vivants. Leur exposition à ce médicament a cependant diminué entre 2007 et 2014, passant de 2316 à 1333. L’étude ne précise pas le nombre d’enfants atteints par des troubles.
La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a annoncé en conséquence la mise en place d’un dispositif d’indemnisation de victimes. Il sera voté au Parlement avant la fin de l’année. La ministre a également promis un dispositif permettant la prise en charge des soins des patients reconnus « en totalité » par l’assurance maladie dans le cadre d’un « protocole de dépistage et de signalement ».
Un pictogramme alertant sur les dangers de ce traitement chez les femmes enceintes sera aussi apposé sur les boîtes de valproate, en plus des mentions d’alerte déjà existantes.
Un scandale sanitaire énorme
Martine Martin, présidente de l’Apesac
« C’est un scandale sanitaire énorme qui pourrait avoir fait entre 50.000 et 70.000 victimes sur 50 ans de prescription« , estime Marine Martin, présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac). Elle a été reçue par les autorités sanitaires françaises ce mercredi 24 août 2016 afin que ce rapport lui soit présenté.
Pour autant, l’association ne réclame pas l’interdiction du valproate, un médicament « utile et indispensable« , selon Mme Martin, chez les femmes épileptiques qui ne répondent pas aux autres traitements.
Interrogé par France 2, le médecin Jean-Daniel Flaysakier est également de cet avis. Pour lui, « retirer la dépakine du marché serait une catastrophe« . « On continue à donner ce médicament aux femmes enceintes quand tous les autres traitements ont échoué » insiste le spécialiste de la santé sur la chaîne publique.
Structure de l’acide valproïque à la base de la Dékapine
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Des traitements à base de valproate sont également utilisés pour traiter les troubles bipolaires, sous d’autres appelations (Dépakote, Dépamide et génériques).
La substance est sur la sellette à cause d’un risque élevé – de l’ordre de 10% – de malformations congénitales chez les bébés nés de mères qui ont pris ce médicament pendant la grossesse, mais également d’un risque accru d’autisme et de retards intellectuels et/ou de la marche, pouvant atteindre jusqu’à 40% des enfants exposés.
Les risques de malformations (principalement sur le coeur, les reins, la colonne vertébrale) sont connus depuis les années 1980, et ceux de troubles neuro-développementaux ont commencé à émerger à partir du milieu des années 1990.
©France 3
Ce n’est qu’en 2006 que la notice à destination des patients déconseille pour la première fois l’utilisation de la Dépakine chez la femme enceinte, « à peu près en même temps que l’apparition des premiers génériques » note Mme Martin.
Mais il faudra encore dix ans supplémentaires et une forte médiatisation pour que les patientes se voient imposer la signature d’un protocole d’accord de soins les informant formellement des risques encourus.
Une lente prise de conscience
Pourquoi un tel délai ? Dans un rapport publié en février, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) fustigeait « le manque de réactivité » de Sanofi et de l’agence du médicament ANSM, l’Apesac n’hésitant pas à dénoncer « la complicité » de l’Etat et du laboratoire français.
La prise de conscience des dangers du valproate s’est également faite très lentement dans le corps médical : selon l’Igas, un médecin sur 5 et un pharmacien sur 3 ne connaissaient pas les effets du valproate sur les enfants à naître en 2008.
Dès la semaine dernière, le Canard Enchaîné avançait un chiffre de 10000 femmes enceintes s’étant vu prescrire du valproate entre 2007 et 2014. Et pas seulement en France : la Belgique compte aussi de nombreuses victimes, enfants aux troubles cognitifs dont les mères ont été sous Dépakine alors qu’elles étaient enceintes.
C’est le cas de Dominique, qui a continué d’en prendre lorsqu’elle était enceinte de Sacha. L’enfant de neuf ans présente de sérieux troubles du développement depuis sa naissance, notamment des troubles de l’attention.
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En 2014, juste avant l’introduction de nouvelles restrictions décidées à l’échelle européenne, 93.000 femmes en âge de procréer prenaient du valproate dont 37.000 contre l’épilepsie (Dépakine et génériques) et 56.000 pour des troubles bipolaires, notait pour sa part l’Igas dans son rapport.
L’Igas fait aussi état de 450 enfants nés avec des malformations congénitales entre 2006 et 2014 après avoir été exposés in utero au valproate.
Sanofi indiquait pour sa part il y a quelques jours n’avoir pas eu « connaissance (des) données » de l’étude présentée ce 24 août 2016 par le Directeur général de la santé Benoît Vallet à la délégation de l’Apesac.
Distilbène et thalidomide, deux scandales sanitaires concernant les femmes enceintes
- Entre les années 1950 et 1970, le diéthylstilbestrol (DES), commercialisé par les laboratoires pharmaceutiques UCB Pharma (Distilbène) et Borne (Stilboestrol), est prescrit massivement aux femmes enceintes afin de prévenir les fausses couches. Interdit aux Etats-Unis en 1971, puis en France en 1977, le médicament s’avère extrêmement nocif pour les enfants, surtout les filles, exposés in utero : malformations utérines et congénitales, stérilité, fausses couches, grossesses à risque, développements précoces de cancers et troubles psychiatriques. La prise de DES peut même avoir des conséquences sur les trois générations suivantes. Il n’est plus prescrit aux femmes enceintes depuis 1983. En France, la justice a condamné les laboratoires pharmaceutiques à indemniser les victimes à plusieurs reprises.
Commercialisée à partir de 1956 par Grünenthal GmbH, la thalidomide est un sédatif prescrit aux femmes enceintes d’une cinquantaine de pays afin de soulager leurs nausées. La substance est retirée du marché en 1962. Mais durant ces six années, quelque 10.000 enfants, dont une majorité en Allemagne de l’Ouest, naissent avec de graves malformations congénitales. Environ un tiers de ces nouveaux-nés meurent avant leur premier anniversaire. Plusieurs pays ont reconnu leur responsabilité dans la commercialisation du médicament et certains ont créé des fonds d’aide aux victimes. Aujourd’hui, la thalidomide est toutefois de retour sur le marché pour soigner la lèpre et le lupus.
Source : TV 5 monde