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DÉPAKINE : « SANOFI DOIT ASSUMER SES RESPONSABILITÉS »
Entre 2007 et 2014, plus de 8 700 enfants ont été exposés à la Dépakine. C’est ce que révèle le premier volet d’une étude de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), publiée la semaine dernière. Ce médicament, utilisé comme traitement contre la maniacho-dépression et l’épilepsie, provoque des malformations et des maladies mentales chez les fœtus exposés. Les familles des victimes veulent obtenir réparation auprès des autorités de santé, mais également de Sanofi, le fabricant du Valproate de Sodium, la substance active de la Dépakine. Pour l’avocat des victimes, Charles Joseph-Oudin, le groupe pharmaceutique porte une lourde responsabilité dans ce dossier. Et pourrait en payer le prix fort.
Novethic : 8 700 enfants et 14 000 femmes enceintes exposés à la Dépakine. Ces chiffres ont été publiés la semaine dernière par l’ANSM. Cette étude pointe la responsabilité des médecins dans la prescription de la Dépakine. Est-ce qu’elle exonère Sanofi de ses responsabilités ?
Charles Joseph-Oudin : Absolument pas ! Les chiffres rendus publics la semaine dernière par l’Agence nationale de sécurité du médicament révèlent au contraire l’ampleur, majeure, de ce scandale de santé publique.
Sans rentrer dans une comptabilité morbide, on sait que le nombre de victimes de la Dépakine et de ses dérivés se chiffre à plusieurs dizaines de milliers. Nous aurons une estimation plus précise d’ici la fin de l’année, mais on sait déjà qu’entre 20 000 et 40 000 enfants sont nés avec un handicap.
Cela met en évidence la responsabilité première du laboratoire. Dans notre droit, le producteur est responsable de plein droit de son produit. C’est lui qui le connait, lui qui en assume la responsabilité auprès de ses clients, de ses consommateurs, de ses patients.
Sans parler de la responsabilité morale, éthique, de ce laboratoire français, parmi les 10 plus grosses capitalisations boursières du CAC40. Il a gagné beaucoup d’argent avec ce produit. Il est aujourd’hui indispensable qu’il change d’attitude et qu’il assume concrètement sa responsabilité.
La substance active de la Dépakine, le Valproate de sodium, est utile dans le traitement de la bi-polarité et de l’épilepsie. Sanofi peut rétorquer que ce sont les médecins qui prescrivent mal ce médicament. D’autant plus que 88% des femmes exposées le sont au premier trimestre de leur grossesse, alors qu’elles ne réalisent pas nécessairement qu’elles sont enceintes…
Ni mes clients ni moi-même n’avons jamais affirmé que ce médicament est un mauvais médicament. Je n’ai d’ailleurs aucune difficulté à dire que la Dépakine fonctionne très bien… sauf qu’il ne faut jamais en prescrire à une femme enceinte ou à une femme en âge de procréer qui n’est pas sous un moyen de contraception efficace.
Mais en réalité, la question de savoir si c’est un bon ou un mauvais médicament ne nous intéresse pas. La question est uniquement de savoir si le laboratoire a informé ses consommateurs de la dangerosité du produit pour une femme enceinte ou en âge de procréer sans contraception efficace.
« Sanofi au courant du risque depuis 1990 »
Estimez-vous qu’il y a eu un défaut d’information ?
Il est évident. Il est aujourd’hui admis par les autorités de santé. Depuis le début des années 90, les informations sur la toxicité du produit pour les fœtus exposés in utero sont connues. Cette connaissance est publique depuis plus de 25 ans ; elle est présente dans la littérature scientifique, mais aussi dans les déclarations de pharmacovigilance qui sont portées à la connaissance du laboratoire.
Pour le dire autrement, depuis le début des années 90, Sanofi sait parfaitement qu’il existe un risque de troubles neuro-développementaux pour les fœtus exposés. Ces informations n’ont pas été communiquées en temps et en heure aux patientes. Et c’est ce défaut d’information qui fonde la responsabilité première du laboratoire. Ce qui ne veut pas dire que la responsabilité des autorités de santé n’est pas engagée.
De la même façon, cela n’empêchera pas que certains médecins puissent voir leur responsabilité engagée. En droit, la responsabilité des uns n’exonère pas celle des autres. Un exemple très récent nous l’enseigne : celui du Mediator. Les autorités de santé ont été condamnées pour n’avoir pas agi suffisamment rapidement, ce qui caractérise une faute. Parallèlement, le laboratoire (Servier, NDLR) est sanctionné pour n’avoir pas informé les consommateurs du risque lié à la consommation du produit. Risque qu’il connaissait.
Existe-t-il des similitudes entre le dossier du Mediator et celui de la Dépakine ?
Il existe des ressemblances importantes, notamment concernant l’attitude du laboratoire qui, pendant des années, n’a pas informé ses consommateurs alors qu’il avait connaissance du risque. Dans ces deux dossiers, le nombre de victimes, extrêmement important, s’explique aussi par le temps qu’il aura fallu pour que l’information soit portée à la connaissance des victimes.
Vers un coût de 40 milliards d’euros pour Sanofi ?
Concrètement, quelles sont les actions judiciaires en cours contre Sanofi dans le dossier de la Dépakine ?
Deux types de procédure sont en cours. Une procédure pénale : quatre plaintes ont été déposées contre X pour des faits d’administration de substance nuisible, de tromperie aggravée et de blessure involontaire. Une enquête préliminaire est actuellement instruite au pôle de santé publique à Paris.
Parallèlement, une quinzaines de procédures civiles sont en cours et visent une indemnisation des victimes. De nouveaux dossiers sont, dans ce cadre, présentés régulièrement devant la justice.
Outre le risque de ternir sa réputation, quel est l’enjeu pour Sanofi ?
Il est avant tout financier. En France, des dizaines de milliers de familles ont des demandes indemnitaires. Ces indemnisations devraient être importantes. Si l’on fait une moyenne, celles-ci pourraient être comprises entre 500 000 et 1 million d’euros par famille (le montant des indemnisations pourrait donc coûter de 10 à 40 milliards d’euros à Sanofi, rien que pour la France, NDLR). Mais il n’est aujourd’hui pas possible de calculer exactement le montant de ces indemnités. Chaque cas est en effet différent : une famille ne comptant qu’un seul enfant ayant développé de l’asthme ou une scoliose ne sera pas indemnisé de la même manière qu’une autre ayant plusieurs enfants atteints d’autisme.
Sanofi va être confronté à un problème majeur : la Dépakine est commercialisée dans 130 pays dans le monde. La mobilisation est en train de se mettre en marche en Angleterre, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, en Suisse… Dans tous ces pays, les problématiques de ce dossier sont les mêmes. Si le laboratoire ne réagit pas rapidement, il est vraisemblable qu’il sera bientôt confronté à un front judiciaire multiple, complexe et très problématique.
Maître Charles Joseph-Oudin, aux côtés de Marine Martin, présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Apesac) lors d’une conférence de presse sur la Dépakine à Paris, le 24 août.
Bertrand Guay / AFP
Source : Novethic