Le nouvel obs
LE PLUS. L’Assemblée nationale vient de voter à l’unanimité la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de l’antiépileptique Dépakine. Laurence Blanchard, qui a pris ce médicament pendant plus de 20 ans et alors qu’elle était enceinte, a du mal à s’en réjouir tant les conséquences sur sa famille sont irréparables.
Le vote à l’unanimité de l’Assemblée nationale pour la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de la Dépakine montre que le combat mené par Marine Martin, présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), est important. Mais je n’ai clairement pas le cœur à me réjouir de cette victoire car nous avons encore beaucoup de batailles à mener.
À l’Apesac, nous sommes chaque jour confrontés à des témoignages de familles dans l’impasse. Comme la mienne l’est depuis des années.
J’ai trois « enfants Dépakine »
Ma fille et mes deux fils ont tous été reconnus « enfants Dépakine » par un généticien, mais il n’existe aucun établissement disposant d’une équipe pluridisciplinaire pour les traiter malgré les demandes réitérées par l’Apesac. Alors on se débrouille comme on peut, et on s’inquiète pour les années à venir.
Ma fille Lisa, 22 ans, a un spina-bifida occulta et est reconnue travailleuse handicapée. Après des années d’errance et de culpabilité, nous avons mis en place depuis peu une prise en charge adaptée, mais les dégâts sont irréversibles.
Un de mes fils, Lucas est handicapé à 80%. Il est en hôpital psychiatrique et je le prends à la maison un week-end sur deux. Pour cette raison, je ne touche plus rien de la Caisse d’allocations familiales, alors que j’ai par exemple dû renouveler entièrement sa garde-robe récemment : Lucas a perdu 20 kilos depuis qu’il est hospitalisé. Il fait des crises d’épilepsie malgré les traitements et n’est pas scolarisé depuis de nombreuses années.
Quant à Loïc, qui a 17 ans et est en terminale, nous venons de découvrir seulement maintenant qu’il souffrait de troubles de l’attention, en plus de ses problèmes respiratoires. Il est suivi par un neuropsychologue, un orthophoniste, un neurologue… Nous avons mis en place un plan d’adaptation personnalisé (PAP) avec le médecin scolaire et je dois vivre avec la culpabilité d’avoir attribué ses difficultés scolaires à de la fainéantise. Là encore, c’est grâce à l’Apesac si nous avons pu l’accompagner correctement.
Tout cela a bien sûr un coût, souvent non remboursé, et me demande beaucoup d’attention et de temps. Mais je ne peux pas me permettre d’arrêter de travailler. Ma colère, je la canalise en assistant Marine dans son combat, car je lui suis reconnaissante de m’avoir permis d’aider mes enfants.
Aucune somme ne nous rendra ces vies volées
Alors certes, l’annonce d’une indemnisation fait du bien, car nous en avons besoin. Mais elle ne suffira pas.
Cela faisait 20 ans que nous nous battions dans le vide. Aujourd’hui je connais ce qui est à l’origine de leurs problèmes et j’irai jusqu’au bout, pour la simple raison que je ne veux pas que mes enfants puissent me dire un jour :
« Maman, tu savais que c’était la Dépakine et tu n’as rien fait. »
Mais aucune somme d’argent ne nous rendra ces nuits à ne pas dormir, ces journées de consultations médicales. Rien ne nous rendra ces vies volées, parce qu’elles n’ont pas de prix.
À lire, le précédent témoignage de Laurence Blanchard sur Le Plus >> « Malformations, handicaps… J’ai 3 « enfants Dépakine » : il n’y a pas que 450 victimes«
Source : le nouvel obs