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Les handicaps provoqués par la Dépakine auraient pu être évités. Au-delà du débat indispensable sur les responsabilités, que faire maintenant ? Comment accompagner les enfants concernés et protéger les femmes enceintes ? Le point avec Hubert Journel, généticien au CH de Vannes.
Prescrit depuis 1967, la Dépakine (acide valproïque) est le plus tératogène des anticonvulsivants, c’est-à-dire le plus susceptible d’entraîner des malformations et handicaps chez les enfants exposés. D’autres traitements de l’épilepsie ou prescrits pour les troubles bipolaires sont aussi à risque pour les femmes enceintes. Questions à Hubert Journel, généticien au CH de Vannes et responsable du conseil scientifique de l’association Apesac.
À voir : Le scandale de la Dépakine, reportage de l’émission « Complément d’enquête », France 2 en date du 26 février 2016,
Combien de femmes et d’enfants sont concernés et combien risquent de l’être encore ?
« L’étude publiée récemment estime que plus de 14 000 femmes ont été exposées pendant leur grossesse entre 2007 et 2014, pour un peu plus de 8000 naissances. Même s’il est impossible de donner un chiffre exact, je tablerais sur 35 000 à 40 000 femmes depuis que ces traitements ont commencé à être prescrits, c’est-à-dire bien avant 2007. Des centaines d’enfants ont développé un handicap. Depuis l’information donnée par l’Agence du médicament en 2006 sur les risques, le nombre de prescriptions a sensiblement baissé (de près de 50 %), mais des milliers de femmes ont continué à être mal informées des risques. La faute à un manque de coordination entre les laboratoires, pouvoirs publics, gynécologues, neurologues dans un système de santé fragile qui ne permet pas toujours de bien informer les personnes concernées. D’ici mi décembre 2016, un protocole national de soins (PNDS) concernant la Dépakine et d’autres antiépileptiquesdevrait repréciser ces risques et proposer des recommandations. Dommage qu’il ait fallu attendre si longtemps pour informer les femmes enceintes à risque et toutes celles en âge de procréer.
Quelles sont les conséquences possibles de la prise d’un anticonvulsivant chez les femmes enceintes ?
Comme d’autres antiépileptiques, la Dépakine est tératogène, susceptible d’entraîner des malformations des membres et des organes et de traits particulier du visage (dysmorphie faciale). Dans au moins 50 % des cas, on peut aussi constater des retards sur le plan du développement intellectuel avec des conséquences plus ou moins importantes sur la compréhension, le langage, etc. Certains enfants souffrent par exemple de Troubles du spectre autistique (TSA), d’autres uniquement de malformations, comme celle de la colonne vertébrale (Spina Bifida) selon un mécanisme encore inconnu. Pourquoi autant de différences sur les effets possibles chez les enfants ? Parce que cette molécule accentuerait probablement des faiblesses existantes au niveau génomique. On parle de « syndrome Valproate » lorsqu’on constate plusieurs symptômes associés, comme par exemple une dysmorphie faciale associée à de l’autisme, à un retard mental ou à des malformations chez les enfants de mères ayant pris ce type de traitement durant leur grossesse.
Savoir qu’un traitement anticonvulsivant est responsable du handicap de son enfant, ça change quoi ?
Beaucoup de choses. Les familles ont besoin de connaître la vérité, car même si cela ne répare pas le préjudice, cela permet d’effectuer des comparaisons, d’avancer avec les bonnes prises en charge, d’être plus précis au niveau du développement de l’oralité, des troubles moteurs ou des difficultés intellectuelles. J’invite les familles déjà concernées comme celles qui se poseraient des questions à se rapprocher d’un centre de référence des anomalies du développement AnDDI-Rares. Elles peuvent aussi entrer en contact avec l’association Apesac, créée en 2011 par une maman qui oeuvre beaucoup pour faire connaître les risques et informer familles et grand public. Des familles sont en colère, d’autant plus que les réponses apportées en matière d’accompagnement et de prise en charge sont pour l’instant bien minces. Contrairement à ce qui avait été envisagé, avec notamment la mise en place d’un plan de prise en charge des patients, et même si on entend parler d’indemnisation possible des victimes, rien n’est vraiment engagé pour l’instant. Ces familles ont besoin d’un accompagnement médico-social adapté, au lieu de cela, on les laisse pour l’instant dans une forme d’errance. »
À lire : en attendant un suivi véritablement adapté et la possible indemnisation des victimes par l’État, les chiffres d’une étude de l’assurance maladie et de l’agence nationale de sécurité du médicament ont été rendus publics fin août : Exposition à l’acide valproïque et ses dérivés au cours de la grossesse en France de 2007 à 2014 : une étude observationnelle sur les données du SNIIRAM.
Selon ce rapport, l’acide valproïque aurait été prescrit dans 57 % des cas pour des femmes épileptiques et dans 43 % des cas pour soigner des troubles bipolaires.
Source : Déclic