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Rivotril ou Dépakine, des vies gâchées dans les deux cas

 

Véronique est mère de trois filles, Ingrid née sous Rivotril, et Blandine et Marie, sœurs jumelles exposées à la Dépakine.

 


Bonjour Véronique depuis quand êtes-vous traitée pour l’épilepsie?

Je suis traitée par Dépakine depuis l’âge de 15 ans. La cause de mon épilepsie n’a jamais été clairement définie. J’ai eu un accident à 6 ans avec fracture du fémur, traumatisme crânien et perte de connaissance mais les médecins n’ont pas su me dire si cela était lié. 

Racontez-nous votre histoire :

J’ai eu ma première fille en 1994. Le gynécologue qui me suivait à l’époque avait simplement évoqué le risque de spina bifida et avait préféré me mettre sous Rivotril en remplacement de la Dépakine, associé à de la spécialfoldine. J’ai eu du mal à supporter le changement d’antiépileptique, je suis infirmière et à l’époque je faisais les 3×8 j’étais assez fatiguée mais ma grossesse s’est globalement très bien déroulée. J’avais une échographie tous les mois à cause des risques de spina bifida. A la naissance Ingrid se portait bien, rien ne laissait présager ce qui allait se passer.

Quelques temps après mon accouchement j’ai développé une hyperthyroïdie m’obligeant à suivre un traitement, j’ai perdu 10 kilos. J’ai alors découvert que j’étais enceinte, un retour de couche, mais face à l’avis des médecins et à mon état de santé, j’ai opté pour une IVG. A cette même période j’ai fait un grand mal épileptique, moi qui ne faisais jusqu’à présent que des absences, les pompiers ont dû me secourir en pleine rue : le Rivotril ne parvenait pas à me stabiliser, retour à la Dépakine…

En 1998, les jumelles sont nées. Une fois encore j’ai eu une grossesse sans soucis majeurs, une échographie par mois comme dans toutes grossesses gémellaires et à nouveau de la spécialfoldine. Et une augmentation de ma dose quotidienne de Dépakine suite à ma prise de poids. Toujours pas d’information sur les risques encourus par mes enfants. Lors d’une échographie le médecin avait remarqué que le cœur d’une des jumelles battait plus rapidement, mais rien d’alarmant. J’ai été arrêtée à 6 mois de grossesse. A leur naissance Blandine et Marie sont des poids plumes. Blandine était en hypoglycémie et avait un souffle au cœur, quant à Marie un problème de déglutition l’empêchait de se nourrir correctement. Après 10 jours à la maternité nous avons pu sortir toutes les trois.

En 2003 je suis à nouveau tombée enceinte, toujours sous Dépakine, j’au dû subir une ITG à 6 mois de grossesse, l’échographie avait révélé des malformations cardiaques, elle devait s’appeler Gaëlle… 

Comment s’est passée l’enfance de vos filles ?

Au cours des années, je me suis aperçue que Blandine n’évoluait pas aussi vite que sa jumelle Marie : elle ne levait pas la tête, ne se tenait pas assise, sa mobilité était très réduite. J’ai alerté le pédiatre qui m’a répondu que ma fille était tout simplement fainéante. Pour ce qui est de la parole, elle utilisait un charabia que seule Marie parvenait à déchiffrer et nous le traduisait. La parole justement c’est aussi le point faible de Marie qui ne parle que très peu, regard froid, toujours isolée, ses relations avec les autres étaient très compliquées, et c’est toujours le cas actuellement. Quant à Ingrid, elle a développé ce que l’on appelle des troubles dys : dyslexie, dysorthographie, dysgraphie, s’en suivront des années d’orthophoniste. Son caractère est assez fort, nous sommes souvent en conflit, elle a eu une énurésie nocturne jusqu’à ses 8 ans… Je pensais alors que ce comportement était lié à l’arrivée de ses sœurs, une manière à elle de montrer qu’elle était là.

Puis est venu le moment de l’école, et de cette fameuse réunion où nous avons été convoqués par les maîtresses, devant le médecin scolaire et l’assistante sociale. La situation était violente, on nous a dit avec un ton très froid qu’Ingrid ne tenait pas en place, que Blandine avait des retards psychomoteurs et que Marie était autiste. A la rentrée suivante j’ai changé les filles d’école pour les mettre dans un établissement tout proche de mon lieu de travail. Blandine a eu l’aide d’une AVS du CM1 jusqu’en 3ème.

Quand et comment avez-vous entendu parler du scandale de la Dépakine et des autres antiépileptiques ?

C’est en 2016 que j’ai entendu parler de ce scandale sanitaire. Je n’avais jusque là jamais fait le lien entre le traitement que je prenais et l’état de mes filles. Pour tout dire je pensais que les symptômes de Blandine étaient liés à son hypoglycémie et à ses soucis cardiaques lors de l’accouchement. J’ai tapé « scandale Dépakine » sur Google, je suis tombée sur le site de l’APESAC. En lisant les symptômes j’ai reconnu mes filles, notamment au niveau du faciès, cette lèvre fine et le nez épaté. A elles deux les jumelles totalisaient tous les effets décrits. J’ai alors pris contact avec l’association en novembre 2016. Pour des raisons géographiques je n’ai encore jamais participé à un rassemblement APESAC, ce sera peut-être pour cette année !

Quelles ont-été les réactions des médecins à votre égard ?

Ils m’ont tous dis « on croyait que… », « on ne pensait pas que… » sans être vraiment concernés par le sujet. J’ai l’impression qu’ils ne se sentent absolument pas concernés par ce scandale, ils passent leur temps à se renvoyer la balle « ce n’est pas moi qui vous ai prescrit le traitement ». Le seul qui m’a un jour mise en garde a été le pharmacien d’une pharmacie de garde où je me suis rendue un dimanche soir car je n’avais plus de Dépakine, il m’a dit « Madame vous devez être sous pilule pour prendre de la Dépakine, ce médicament est déconseillé chez les femmes en âge de procréer ». C’était trop tard, mes trois filles étaient déjà nées.

Aujourd’hui comment se déroule le quotidien de vos enfants? Votre vie de famille?

A l’école on nous avait dit qu’elles n’arriveraient pas à obtenir le brevet des collèges, ces personnes ont eu tort. Je déplore d’ailleurs que l’Education nationale n’aide pas plus les enfants en situation de handicap.

Ingrid qui a 24 ans a fait un BTS et une licence en immobilier, elle projetait de partir vivre un an aux Etats-Unis en tant que fille au pair avant qu’on ne lui diagnostique une sclérose en plaques en septembre dernier, son sort dépend désormais du consulat américain plutôt défavorable à l’idée de donner un VISA à une personne malade.

Blandine souffre toujours de tachycardie, elle a 21 ans et ne sait toujours pas faire de vélo, ni sauter à la corde. Son QI avait été évalué à 67 mais elle a quand même validé un CAP restauration et un CAP hôtellerie et travaille actuellement en tant que femme de chambre dans un hôtel.

Marie quant à elle souffre de troubles sévères de l’attention et est toujours sa bulle. Elle a obtenu un Bac Professionnel Gestion et administration avant de tenter une école de communication, étonnant quand on sait qu’elle a du mal à s’exprimer ; elle est actuellement en école de journalisme.

Cela a vraiment été un combat de tous les instants, je ne compte plus le nombre de réunions, de rendez-vous chez des spécialistes, tout ça pendant ma pause déjeuner. J’ai eu le sentiment d’être abandonnée, de me battre contre des moulins, personne ne comprend notre détresse c’est terrible. Suite à mes problèmes de thyroïde j’ai eu la chance de pouvoir changer de service et d’en finir avec les 3×8, j’avais donc du temps pour m’occuper de mes filles, d’autant plus que mon mari avait un rythme de travail non adapté à celui d’une vie de famille.

Avez-vous remarqué des différences entre Ingrid et ses sœurs? 

Au niveau scolaire elles ont toutes les trois eu leurs propres difficultés. Je dirais que la plus grosse différence est liée aux relations sociales. Certes Ingrid souffre de troubles dys, elle est souvent en conflit avec moi de par son fort caractère, mais elle est très sociable, elle a beaucoup d’amis, sort souvent contrairement à ses sœurs assez renfermées. Je pense que Blandine est la plus impactée, elle n’a pas vraiment conscience de ses difficultés.

Etes-vous toujours sous Dépakine actuellement?

Oui, toujours, sous Dépakine 500 chrono, 1 et demi le matin, 1 et demi le soir. La Dépakine me convient parfaitement, je n’ai plus jamais refait de crises, je suis stabilisée ; mais bien évidemment, si j’avais été au courant des risques encourus pour mes enfants je n’aurais jamais pris ce traitement…

Avez-vous entrepris une procédure juridique? Pourquoi?

Non, je ne saurais pas vraiment vous dire pourquoi. Je pense que je ne vois pas tellement l’intérêt. Le mal est fait, qu’est ce que cela changera pour nos enfants ? Dans mon malheur j’ai quand même eu de la chance, finalement mes trois filles ont presque une vie « normale ».

Quel est votre ressenti aujourd’hui?

Je trouve cela odieux, je ne sais pas comment ces gens là arrivent à dormir la nuit. Se dire que des milliers d’enfants ont été touchés, comment peuvent-ils se murer dans le silence. Je trouve cela affolant. Je ne parviens pas à comprendre comment on peut continuer à prescrire des antiépileptiques aux femmes en âge de procréer, une question d’argent comme d’habitude, il n’y a que ça qui est intéressant. Ce n’est pas le premier scandale sanitaire et malheureusement ça ne sera certainement pas le dernier.

Comment vos filles envisagent-elles l’avenir?

Les filles ont été informées très vite des raisons de leurs troubles, cela les a ébranlées, il leur a fallu plusieurs jours pour accepter. Ingrid espère pouvoir concrétiser son rêve et partir de l’autre côté de l’atlantique. Toutes les trois suivent avec intérêt les informations sur les effets de la Dépakine sur la deuxième génération, elles espèrent pouvoir obtenir des réponses…

Le mot de la fin?

 

Je souhaite que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et ne laissent pas des familles en détresse. Heureusement que nous avons Marine Martin, cette femme est extraordinaire !

Propos recueillis par Anaïs Montels

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