Depuis cinq ans, la vie de la famille Orti est rythmée par le combat mené contre Sanofi. Son but, faire reconnaître au laboratoire sa responsabilité dans l’affaire de l’antiépileptique, la Dépakine
Le froid de novembre vient tout juste de s’abattre sur les Landes. On sent alors immédiatement la chaleur de l’accueil et de la maison des Orti, quand Nathalie, la mère de famille, ouvre la porte d’entrée. Leur maison se situe dans la campagne de Misson, au bout d’une petite route et en haut d’une petite butte. Le père, Christian, un bon mètre 86 et le sourire franc, s’excuse de recevoir en chaussons et va chercher des chaises. Le fils, Esteban, 15 ans et prêt à dépasser la taille de son père, choisit sa place et s’installe.Chez les Orti, on mène un lourd combat contre la Dépakine depuis 2015 et la découverte, grâce à un article de presse envoyé par le frère de Nathalie, des dégâts qu’elle cause. Ce médicament, produit par le laboratoire Sanofi, est un antiépileptique qu’a continué de prendre Nathalie, épileptique depuis son enfance, pendant sa grossesse. « C’était une procréation médicalement assistée, donc nous avons été suivis par un paquet de médecins, qui avaient mon dossier médical, mais personne n’a jamais rien dit », raconte celle qui a accouché d’Esteban, le 24 mai 2006. Aujourd’hui, son fils a la joue gonflée par une opération des dents de sagesse. « On pourrait croire que c’est la Dépakine mais non », lance Christian avec un trait d’humour. Le sujet n’est pas tabou dans la famille, au contraire.
« Reconnaître son erreur »
Pendant les premiers mois de vie de leur enfant, Nathalie et Christian se rendent bien compte qu’il ne se développe pas normalement. Grâce à cette vigilance, le diagnostic de retard global de développement est posé lorsqu’Esteban a 1 an. « Un médecin m’avait assuré que ça ne pouvait pas venir de la Dépakine, que c’était génétique et, qu’un jour, on trouverait l’origine. Cette phrase m’est restée et nous n’avons pas fait de deuxième enfant. C’est quelque chose d’encore très douloureux », confie la mère de famille. « Je préfère être fils unique ! », la rassure son adolescent.En grandissant, Esteban souffre d’une hyperlaxité des doigts et des articulations, de problèmes d’oto-rhino-laryngologie (ORL), de vue, d’une scoliose et d’un syndrome autistique. « J’ai aussi vu d’autres enfants en fauteuil roulant ou morts, parce que leurs malformations étaient trop lourdes. Il faut que Sanofi reconnaisse son erreur », assure le jeune homme, scolarisé en classe de 3e Ulis à Pouillon et passionné de voitures
15 décembre, nouvelle étape
L’alerte est donnée par Marine Martin en 2011 et fait l’effet d’une bombe chez la famille Orti, lorsqu’ils en prennent connaissance en 2015. Lors d’une émission de télé, le témoignage d’une des membres de l’association Apesac (Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant) dont fait aussi partie Nathalie lui permet, malgré l’émotion, d’expliquer à son fils de 11 ans la cause de son état de santé. « Maman m’a dit : ‘‘Ce que raconte la dame est vrai et c’est la même chose pour toi’’. J’ai cru que c’était une blague. Moi, je croyais que j’avais juste les doigts tordus… Ça m’a fait un choc », intervient Esteban.
En parallèle, Nathalie Orti lance une procédure civile afin d’établir la responsabilité du laboratoire. « On sait qu’on en a pour dix ans mais se battre permet aussi d’essayer de se déculpabiliser, même si je m’en veux toujours d’avoir empoisonné mon fils », glisse-t-elle. Elle poursuit : « Sanofi retarde les procédures de toutes les familles en répétant qu’en 2003, ils avaient prévenu l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) d’un risque mais que le fait que rien n’a bougé n’est plus de leur ressort. Les années passent et ils ne changent pas de posture. »« Ils ont clairement voulu faire de l’argent sur notre santé et ‘‘être désolés’’, comme ils nous le disent, ne sert à rien »Une procédure pénale est également en cours, dans laquelle Sanofi est mis en examen pour homicides involontaires, blessures involontaires et tromperie aggravée. Un dossier Orti est aussi entre les mains de l’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux). « Ce fonds n’est toujours financé que par l’État, alors qu’une partie devrait venir de la poche de Sanofi. Mais ça aussi, il le conteste et l’État laisse faire ! », déplore la mère de famille.
Enfin, une action de groupe a pu être lancée par l’Apesac, une première dans le domaine de la santé. « Le 15 décembre, nous saurons si elle est recevable. Si oui, de nombreuses familles qui n’ont pas les moyens, ou plus tous les documents demandés pour monter un dossier à l’Oniam, pourront s’y greffer. Ils ont clairement voulu faire de l’argent sur notre santé et ‘‘être désolés’’, comme ils nous le disent, ne sert à rien », conclut Nathalie Orti.