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Y a-t-il moins de cas ou pas assez d’information en Suisse?

Blue News, le 12 février 2021

Alors que le nombre connu de victimes de la Dépakine dépasse les 7’000 en France et qu’un fonds d’indemnisation a été créé, il n’y aurait en Suisse qu’une cinquantaine de cas signalés.  À ce jour, dix familles seulement demandent réparation dans notre pays. Leurs enfants souffrent tous de malformations ou de troubles consécutifs à la prise de cet anti-épileptique par leur mère, lorsqu’elle était enceinte.  

 

En Suisse, Natascha Allenbach a créé l’ASSAC pour faire connaître le syndrome valproate et venir en aide aux familles touchées. Le dossier de son fils est désormais entre les mains de la justice.

VP

C’est par Marine Martin que le scandale est arrivé en France. Cette mère de famille a créé en 2011 l’APESAC, l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant. Véritable lanceuse d’alerte, elle se bat pour faire reconnaître les conséquences de la prise de Dépakine pendant la grossesse, pour aider les familles touchées et «pour qu’un tel scandale sanitaire ne puisse jamais se reproduire» . 

Le médicament, qui contient une molécule baptisée valproate de sodium, est prescrit depuis 1967 pour traiter l’épilepsie, les troubles bipolaires ou la dépression. Mais, même si les risques d’une prise pendant la grossesse ont été identifiés très tôt, l’information aux patientes, elle, a tardé.

Il est reconnu aujourd’hui que la prise de valproate par une femme enceinte entraîne des malformations de naissance chez 10% des enfants et dans 30% à 40% des cas, des troubles sévères du développement. Marche tardive, retards de langage, troubles du spectre autistique, Q.I. diminué et troubles visuels font partie des séquelles. 

Quelques signes physiques du syndrome valproate chez les enfants

  • Lèvre supérieure fine
  • Antéversion (déviation) des narines
  • Racine du nez large
  • Yeux écartés et comme bridés (pli épicanthique)
  • Front haut
  • Microcéphalie
  • Oreilles basses et mal ourlées
  • Cou court

Dix ans plus tard, le dossier a fortement évolué chez nos voisins. L’APESAC recense 7’254 victimes, 1’561 avortements et 166 décès liés à la Dépakine ou à d’autres médicaments à base de valproate. Mais elle évalue le nombre de victimes à au moins 14’000 en France. 

En 2020, le laboratoire Sanofi, producteur du médicament, a été mis en examen pour «tromperie aggravée», «blessures involontaires», puis «homicides involontaires». En juillet de la même année, la justice a condamné l’Etat français à indemniser trois familles de victimes: L’Etat «a manqué à ses obligations de contrôle en ne prenant pas les mesures adaptées et a engagé sa responsabilité», communiquait alors le tribunal. Un fonds d’indemnisation des victimes du valproate et de ses dérivés a, par ailleurs, été créé en 2016.

 

« C’est comme le nuage de Tchernobyl, on dirait que ça s’est arrêté à la frontière!»

Natascha Allenbach, présidente de l’ASSAC

Dans notre pays, rien de tel. D’après les indications fournies par Swissmedic, l’organe de contrôle des médicaments, 53 cas exactement ont été rapportés jusqu’au mois de mai 2020. 39 étaient connus en décembre 2019, 11 ont été signalés au début 2020 après la couverture médiatique du sujet et 3 à partir d’un formulaire publié par nos collègues de «20 Minutes». Le porte-parole de Swissmedic précise encore: «Un autre cas a été signalé en octobre 2020 (naissance en 2020). Le rapport concerne une grossesse sous traitement contre l’épilepsie qui a eu lieu à l’étranger. La mère était alors en Suisse pour les derniers mois de la grossesse et l’accouchement.»

Mais comment expliquer une telle différence avec les chiffres français?

Le 6 décembre 2019, dans un rapport publié en réponse à un postulat de la conseillère au Etats Liliane Maury Pasquier déposé en 2018, Swissmedic relève: «En Suisse, contrairement à d’autres pays et particulièrement à la France, le valproate a été prescrit de manière très prudente aux femmes enceintes, eu égard aux risques de malformations connus depuis plus de 30 ans.» 

Une récente étude, co-réalisée par le CHUV, conclut pourtant que le nombre de victimes est «sous-évalué».  Fondatrice de l’ASSAC (Association suisse du syndrome de l’anti-convulsivant), Natascha Allenbach abonde: «C’est comme le nuage de Tchernobyl, on dirait que ça s’est arrêté à la frontière! Je n’y crois pas: il y a sans doute beaucoup d’autres cas en Suisse.»

Elle-même maman d’un ado souffrant du syndrome valproate, elle n’a identifié le problème qu’en 2016, en consultant le dossier médical de son fils. À partir de ce moment-là, elle a rapidement alerté la presse et saisi la justice. «La plupart du temps, comme moi, les parents n’ont pas été informés sur les risques de la Dépakine et ne savent pas d’où viennent les troubles de leurs enfants. C’est souvent en regardant un reportage à la TV ou en lisant un article qu’ils réalisent ce qui leur arrive.»

D’autres parents, dont deux enfants seraient touchés, ont d’ailleurs contacté récemment la présidente de l’association suisse après avoir découvert les derniers articles traitant du scandale de la Dépakine. 

Organisation et «lenteur»

Autre point étonnant, le fait que les premiers cas répertoriés en Suisse datent de 1994, alors que la Dépakine est prescrite depuis une cinquantaine d’années. «Cela pourrait avoir quelque chose à voir avec l’histoire du signalement spontané en Suisse», répond Swissmedic. 

Ce n’est en effet qu’en 1990 que le Centre de pharmacovigilance est entré en fonction en tant qu’unité organisationnelle de l’Office Intercantonal de Contrôle des Médicaments (OICM). «Il s’appuyait principalement sur les annonces d’effets indésirables de médicaments qui lui provenaient des services et instituts de pharmacologie clinique des hôpitaux universitaires suisses. L’annonce était faite en lien direct avec le patient et le médecin traitant», relate un article de la revue n°20 de «Vigilance-News», sur l’histoire de la pharmaco-vigilance.

Souvent critiqué pour sa «lenteur», l’organe de contrôle des médicaments rappelle que des mises à jour régulières sur le valproate sont apportées depuis 1982, en fonction de l’évolution des connaissances et des derniers développements scientifiques et technologiques: «En ce qui concerne les nouvelles notifications, la surveillance du marché du Valproate/Dépakine continue à faire l’objet d’un suivi attentif et toute notification détaillée est soigneusement examinée», indique-t-il.

Les médecins prescripteurs sont en outre invités à respecter strictement les indications des informations sur les médicaments et à informer et accompagner leurs patientes. 

«En ce qui concerne les troubles du développement, les mises en garde pertinentes ont suivi les développements internationaux. Ce risque était difficile à identifier et l’association avec le médicament difficile à confirmer», précise le porte-parole de Swissmedic.

Premiers pas en justice

Pour l’instant en Suisse, une dizaine de familles ont fait appel à la justice pour obtenir réparation. Une nouvelle audience -la première s’est tenue en novembre dernier- aura lieu au Tribunal de première instance de Genève à la fin février dans le dossier du fils de Natascha Allenbach, le plus avancé des dix à ce jour. La présidente de l’ASSAC a porté plainte au civil contre son neurologue et contre Sanofi. «On ne m’a jamais avertie des risques», témoigne cette dernière. 

Nos questions à Sanofi sur sa ligne de défense dans les procédures ouvertes en Suisse et en France sont restées lettre morte.  

Depuis l’automne 2016 dans notre pays, une carte doit être remise aux patientes par le médecin au moment de la prescription de valproate ou par le pharmacien lors du retrait du médicament. Ce document s’ajoute aux mises en garde publiées en mars 2015 par Swissmedic dans l’information professionnelle suisse et l’information destinée aux patients. Un logo montrant une femme enceinte dans un panneau «interdit» est dorénavant apposé sur les boîtes des dérivés de valproate.

Marine Martin fait le point sur le scandale de la Dépakine en France.

TVCAT

 

Source : Blue News, par Valérie Passello

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