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Dépakine: la vérité sur la facture du scandale sanitaire

Challenges 

Depuis la naissance de sa fille en 2004, Marylène Carlucci consulte des spécialistes. Après avoir poussé des cris étranges durant ses premières semaines de vie, l’enfant avait un comportement inexplicable. Un regard fuyant, un langage décousu, des difficultés scolaires dès la maternelle. A l’été 2015, sa mère se renseigne et comprend: tout vient de la Dépakine, le médicament que Marylène, épileptique, a pris pendant sa grossesse.

Vendu par Sanofi depuis 1967 sous cette marque, le valproate de sodium est un excellent remède pour traiter l’épilepsie. Il est aussi prescrit sous le nom de Depakote pour les troubles bipolaires. Mais à partir d’indices inquiétants, au mitan des années 2000, des études scientifiques font le lien entre le valproate et une série de troubles cognitifs: QI faible, difficultés de langage, autisme. Pourtant, il faut attendre la mobilisation en avril 2015 des associations de patients pour savoir la vérité: la Dépakine est un bon médicament pour la patiente, mais un poison pour le foetus: 11% des enfants sont atteints de malformations, 30 à 40 % de troubles neurologiques.

Un fonds public de 10 millions

Au-delà du scandale sanitaire, l’affaire Dépakine est en train de tourner au casse-tête financier. La dotation de 10 millions d’euros du « fonds Dépakine » votée en novembre dernier par le Parlement sera largement insuffisante. En se fondant sur le nombre de boîtes vendues en France (266 millions en 50 ans!), l’épidémiologiste Catherine Hill estime que 30.000 enfants ont été exposés in utero au valproate de sodium, dont probablement 12.000 sont atteints d’un handicap mental ou physique. « A priori, je sous-estime », souligne la chercheuse. Si la moitié de ces 12.000 enfants obtenaient une indemnisation de 800.000 euros (une hypothèse médiane), la facture atteindrait près de 5 milliards.

« Le valproate, c’est un dossier qui peut être très lourd en termes d’intensité, c’est-à-dire de coût moyen du sinistre », estime Nicolas Gombault, directeur général du Sou Médical, assureur des médecins. Dans d’autres affaires, des enfants atteints de spina-bifida – la malformation physique la plus fréquente chez les « enfants Dépakine » – ont obtenu une indemnisation de 3 millions.

Qui paiera? La justice tranchera. L’affaire comporte une vingtaine de procédures au civil, au pénal et devant le tribunal administratif contre l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Et même une action de groupe contre Sanofi – la première dans le domaine de la santé en France – lancée en décembre dernier. Sans préjuger des conclusions, les responsabilités sont plus complexes à établir que dans le scandale du Mediator. Car la Dépakine – au contraire de ce dernier – est un bon médicament. Et le problème paraît plutôt avoir été « une question de prise de conscience collective de l’ensemble des acteurs », estime Dominique Martin, le directeur général de l’ANSM.

Sanofi n’abonde pas le fonds

Fédérant 3.700 personnes, l’Association des victimes de la Dépakine comptait sur un financement de Sanofi . « Je suis convaincue que le laboratoire a eu l’intention délibérée de continuer à vendre le produit et passer sous silence les effets secondaires », attaque sa présidente, Marine Martin. Une « présomption de culpabilité » que la ministre de la Santé semble un temps avoir partagée.

« Marisol Touraine a tablé sur le fait que Sanofi allait alimenter le fonds, comme Servier l’a fait pour le Mediator », souffle un proche du dossier. La ministre songeait sans doute au demi-milliard d’euros de chiffre d’affaires généré par la Dépakine par an (voir graphique). Mais Sanofi estime n’avoir commis aucun manquement. A tel point que le labo n’a passé aucune provision dans ses comptes sur cette affaire.

Indices inquiétants dès 2003

A-t-il bien rempli ses obligations de pharmacovigilance et d’information? L’idée que Sanofi « savait » dès les années 1990 semble improbable. Les études scientifiques sérieuses ne sont sorties qu’à partir de 2004-2005 et le lien avec l’autisme n’a été établi qu’en 2008. « Un soupçon de risque ne suffisait pas, il fallait le préciser et le valider. Et on a mis longtemps à serrer le poisson », confirme Elisabeth Elefant, responsable du Centre de référence sur les agents tératogènes – susceptibles de provoquer des malformations chez les enfants dont la mère a été traitée pendant la grossesse -, qui a présidé jusqu’en 2010 le groupe grossesse de l’ANSM.

« Pendant longtemps, certains médecins ont attribué les retards de développement des enfants à l’épilepsie elle-même », rappelle Dominique Martin. Face aux indices inquiétants, Sanofi a demandé une modification de notice en 2003. Mais sans argumenter sa demande. « Leur dossier n’était ni étayé, ni documenté, et ne précisait en rien le rôle de la Dépakine par rapport aux autres antiépileptiques », tacle le docteur Elefant.

Après son alerte de 2003, Sanofi laisse l’ANSM mener l’enquête et informer patients et médecins. « Sur les médicaments de prescription comme Dépakine, le laboratoire n’a pas le droit de communiquer directement au grand public de son propre chef », justifie Pascal Michon, responsable des affaires médicales de Sanofi. De quoi faire bondir Charles-Joseph Oudin, l’avocat des victimes: « C’est comme si vous aviez un immeuble en feu et que vous le regardiez brûler sous prétexte que vous avez appelé le 12! »

Voyant s’accumuler les preuves d’un lien entre des troubles cognitifs des enfants et la Dépakine, l’ANSM mentionne en 2006 pour la première fois des « retards de langage ». Mais sans faire la moindre communication. Ainsi, pour avoir la bonne information, les médecins doivent jouer au jeu des sept erreurs en comparant l’édition 2005 et 2006 de leur Vidal… Quant aux patientes, on se contente de leur « déconseiller » le médicament, « sauf avis contraire (du) médecin ». « A l’époque, les patients devaient passer par un médecin pour obtenir de l’information », analyse Dominique Martin.

Un corps médical qui tarde lui aussi à réagir. « A partir de 2006, la notice est claire et les médecins qui continuent à prescrire risquent d’être condamnés », juge Marine Martin. « Des neurologues ont refusé de nous entendre. A un congrès de neurologie, on a même demandé à une de mes collaboratrices combien le concurrent de Sanofi l’avait payée pour avertir des effets tératogènes de la Dépakine », témoigne le docteur Elefant. Ces médecins seront couverts par les assureurs. Les victimes devront attendre la fin d’une procédure partie pour être très longue…

Aux Etats-Unis, l’ »affaire sanitaire » coûte cher

S’il n’avait pas cédé les droits américains du valproate de sodium, Sanofi serait dans une position plus délicate. Car cette décision commerciale exempte aujourd’hui le laboratoire français de toute responsabilité face à la justice américaine. Abbott, détenteur de la licence, est seul responsable. Plus de 800 plaintes ont été déposées, avec des demandes de dommages et intérêts énormes. Les parents d’une enfant lourdement handicapée, ont obtenu en première instance 38 millions de dollars en 2015, les juges ayant considéré qu’Abbott « n’avait pas voulu communiquer sur la vraie nature et l’ampleur des risques, que ce soit par le packaging du médicament, ou en avertissant les médecins et les consommateurs ». Le valproate de sodium a valu un autre procès à Abbott: le laboratoire a vendu indûment la Dépakote comme traitement contre la démence sénile. Dictée par « l’intérêt financier au détriment de celui des patients », cette « fraude » s’est soldée par un chèque de 1,6 milliard de dollars pour éteindre les poursuites civiles et pénales.

SOURCE : SANOFI

 

Source : Challenges 

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