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Dépakine : Sanofi condamné pour la première fois

Libération
La Cour d’appel d’Orléans vient de condamner le laboratoire dans le dossier de cet anti-épileptique qui s’est révélé très dangereux pour les femmes enceintes. Libération révèle les attendus du jugement.
Dépakine : Sanofi condamné pour la première fois
Sanofi condamné. Dans l’affaire dramatique de la Dépakine, c’est une petite bombe que constitue l’arrêté de la cour d’appel d’Orléans, rendu le 20 novembre, et que Libération a pu se procurer. Pour la première fois, Sanofi est en effet condamné au civil pour la «défectuosité de son produit», confirmant ainsi la responsabilité du laboratoire qui devra «indemniser les dommages subis par une famille du fait de l’exposition in utero d’un enfant au valproate de sodium». La cour a estimé que ce médicament est «un produit qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre».«C’est une magnifique décision», nous a expliqué Marine Martin, qui est à l’origine de la révélation de ce scandale en créant l’Association des parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac). «Cela confirme nos positions. Sanofi a manqué à son devoir d’information et doit assumer sa responsabilité vis-à-vis des milliers de victimes de la Dépakine.»
«Un rôle trop important laissé à Sanofi»
La Dépakine est un anti-épileptique, très largement utilisé depuis maintenant près de 50 ans. Ce qui est en cause, c’est la substance de base, le valproate de sodium, présent dans plusieurs spécialités pharmaceutiques. Si une femme le prend durant sa grossesse, le valproate de sodium provoque un risque élevé de malformations physiques chez l’enfant (de l’ordre de 10 %) mais également de risques encore plus élevés de retards intellectuels qui peuvent atteindre jusqu’à 40 % des enfants exposés. La Dépakine est commercialisée en France par Sanofi depuis 1967, puis sous forme générique par d’autres laboratoires. Le valproate est également prescrit dans les troubles bipolaires, sous d’autres appellations (Dépakote, Dépamide).

De fait, le danger d’effets secondaires graves en cas de grossesse est connu depuis plus de vingt ans. En 2014, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a pointé des retards en série dans la réaction des autorités françaises. «Dans les années 2000, en France, la doctrine implicite en matière de notice est de ne pas alarmer les patientes par un message pouvant les conduire à arrêter leur traitement.» Ou encore : «Quand on compare avec les autres pays européens, la France n’est pas au nombre des pays les plus réactifs.» Voire : «Certes, à partir de 2006, on informe un peu plus», mais l’Igas a estimé que «ces modifications n’ont pas eu d’impact sur l’information effective et sur les pratiques des prescripteurs». Au point que les mesures annoncées ne sont même pas appliquées. Exemple : le Comité technique de pharmacovigilance demande, en décembre 2006, la constitution d’un groupe de travail. Il n’y en aura pas. Enfin, pointe l’Igas, «un rôle trop important est laissé aux firmes, à Sanofi en l’occurrence, qui considère encore en mars 2014 qu’aucune mesure de minimisation du risque n’est nécessaire, y compris en matière d’information».

Cas terriblement classique
Finalement, le bilan est dramatique. Plusieurs milliers de femmes enceintes ont pris de la Dépakine. Et des milliers d’enfants ont été touchés. En 2016, un fonds d’indemnisation a été créé, et selon plusieurs projections, on estime que cela coûtera plus de 500 millions d’euros. Parallèlement, différentes poursuites judiciaires ont été engagées, aussi bien au civil qu’au pénal, mais aussi des actions collectives sont en cours comme l’a permis une loi récente.

Le cas que vient de juger la cour d’appel d’Orléans est, de ce fait, terriblement classique. C’est l’histoire d’un couple, dont la femme prend de la Dépakine depuis l’âge de 11 ans en raison de son risque d’épilepsie. Selon les arrétés de la cour d’appel, «envisageant une grossesse, il lui a été conseillé de poursuivre ce traitement accompagné de la prise de Spéciafoldine sans qu’aucune information ne lui ait été donnée par le corps médical ou le laboratoire sur le danger de la Dépakine, et qu’à l’issue d’une grossesse sans problèmes, elle a mis au monde, le 24 novembre 2002, un enfant, Camille, présentant un syndrome malformatif général, anomalies des membres supérieurs et microphtalmie en particulier».

Lourde condamnation
En 2002, on connaissait déjà très largement les dangers de la Dépakine. Le jugement est sévère. Il est ainsi écrit que «la présentation du produit au patient n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre». Sanofi «ne peut davantage tenter de se dédouaner […] en invoquant la mise à disposition de l’information au médecin qu’elle présente comme un vecteur essentiel de l’information ou en invoquant un défaut de diagnostic extérieur au produit imputable aux médecins en charge du contrôle échographique alors qu’il lui incombait de présenter le produit à la patiente en s’attachant à la sécurité qu’un patient, quel qu’il soit, pouvait légitimement en attendre». Pour la cour d’appel, Sanofi ne peut pas non plus se retrancher derrière le fait que le laboratoire est soumis au contrôle des autorités de santé : cela ne lui permet pas de faire disparaître sa propre responsabilité.

Finalement, c’est une lourde condamnation qu’inflige la cour d’appel d’Orléans à Sanofi, en imposant de fortes indemnisations, non seulement pour l’enfant victime de la Dépakine, mais également pour ses proches, c’est-à-dire ses parents et sa sœur : en tout, près de 3 millions d’euros. Le laboratoire a également été condamné à rembourser l’intégralité des frais versés par l’Assurance maladie. «C’est une étape cruciale, Sanofi doit sortir de sa stratégie de déni de responsabilité, analyse Charles Joseph-Oudin, avocat de l’Apesac. Il ne peut continuer de refuser de participer à leur indemnisation, à la fois dans les procédures civiles mais aussi dans la procédure amiable d’indemnisation mise en place devant l’Office national de l’indemnisation des accidents médicaux». Tout l’enjeu est là. Qui va à terme payer ? L’Etat ou Sanofi ? Le laboratoire a décidé de se pourvoir en cassation.

Eric Favereau

Source : http://www.liberation.fr/france/2017/12/11/depakine-sanofi-condamne-pour-la-premiere-fois_1615859

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