La Dépêche
La prise de Dépakine chez les pères pourrait augmenter de 5 % le risque de voir son enfant développer des troubles neurodéveloppementaux. Originaire de Perpignan, vivant dans l’Aude, un trentenaire a accepté de témoigner à visage couvert. Fils d’une mère traitée par Dépakine depuis des décennies, il suit lui-même ce traitement depuis son enfance. Aujourd’hui père à son tour, ses deux garçons sont atteints de « lourds troubles neurologiques».
Vincent (*) est en colère. Cet homme, dans la trentaine, accepte de témoigner sous couvert d’anonymat. Dès les premiers instants, il s’excuse : « Je vais mettre du temps à prononcer mes phrases. On m’a diagnostiqué la même capacité d’analyse que celle d’un enfant en classe de CM1». Puis, il prévient pour les bruits qui montent derrière lui : « Mes enfants crient beaucoup, ils sont atteints de beaucoup, beaucoup detroubles du développement».
Natif de Perpignan, résidant aujourd’hui dans l’Aude, Vincent est un enfant Dépakine, sa mère étant sous traitement depuis plusieurs décennies. Mais Vincent est aussi un papa Dépakine. Il prend lui aussi ce médicament depuis ses sept ans. Père de deux enfants, âgé d’une dizaine d’années pour l’un et de moins de cinq ans pour l’autre, Vincent assiste au retard neurologique et du développement de ses deux petits. Pour l’aîné, le diagnostic est posé : « Il souffre de troubles de l’attention, d’hyperactivité et, plus largement d’un retard général. Il a trois à quatre ans d’écart avec un enfant de son âge». Le cadet, trop jeune, n’a pas encore pu être testé par les spécialistes. « Mais, avec sa mère, nous connaissons déjà le résultat: plus il grandit, plus il est en retard. Il a les mêmes décalages que son grand frère», confie son père.
Vincent suspecte fortement un lien entre la prise de Dépakine et les troubles de ses deux enfants. « J’ai découvert la polémique très tardivement, c’était en 2023. Mais plus je lisais les révélations, plus je comprenais tout, tout prenait sens. Mon enfance, mes propres retards à l’école et ceux de ma petite soeur. Mes incapacités à passer le moindre examen. Puis, ceux de mes enfants, qui sont bien plus lourds que les miens».
Aujourd’hui, Vincent et sa femme jonglent entre les rendez-vous médicaux. « Les enfants en ont neuf par semaine, toute l’année», révèle celui qui a vu sa compagne contrainte de quitter son emploi pour s’occuper de ses garçons et de leur agenda médical. « Ce n’est pas la vie dont je rêvais pour eux, pour ma famille. Je n’ai pas fait des enfants pour qu’ils passent leur vie chez le médecin. On vit un calvaire. Quel va être leur avenir? Dans quoi vont-ils bien pouvoir travailler? Ma femme rêvait d’avoir une fille, même ça, nous a été rendu impossible, on ne peut pas prendre le risque».
Vincent est amer. Il aurait souhaité être mis au courant de l’existence de cette possibilité, aussi faible soit-elle, d’engendrer des troubles du développement chez ses enfants, en étant sous Dépakine. Selon l’étude de l’Agence européenne des médicaments, les hommes sous Valproate ont 5 % de risque supplémentaire d’avoir des enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux. « Peut-être que je fais partie des cas rares, car je suis à la fois un enfant Dépakine et un papa Dépakine. Pour moi, c’est la double peine. Mais, plus largement, il faut faire passer le message. Il faut prévenir le plus grand nombre de futurs pères potentiels : un risque est bien réel».
Diane Sabouraud
(*) Prénom d’emprunt
Indemnisation ?
De nouvelles restrictions d’usage entourent la Dépakine depuis ce 6 janvier 2025. La Dépakine, c’est ce médicament anti-épileptique, aussi prescrit pour traiter les troubles de bi-polarité, pointé depuis plus de dix ans. Un combat révélé et porté par Marine Martin, de Pollestres (P.-O.). Les femmes sous traitement de Valproate, au cours de leur grossesse, risquent de donner naissance à des enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux (30 à 40 % des cas) ou de malformations (11 %) selon l’Agence nationale du médicament. Un constat qui pourrait, dans une moindre mesure, devenir un sujet masculin. Le comité de pharmacovigilance de l’Agence européenne des médicaments a évalué le risque d’apparition de ces troubles chez les enfants dont le père a été traité par Valproate dans les trois mois avant la conception. L’étude n’établit pas de lien définitif mais indique que, statistiquement, les hommes sous Valproate ont plus de risques (5 %) d’avoir des enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux. Grâce au combat de Marine Martin, les »Mamans Dépakine » sont reconnues et peuvent être indemnisées à l’amiable. Demain, celle qui préside l’association Apesac espère que les »Papas Dépakine » le seront aussi.
Plus il grandit, plus il est en retard.
Je n’ai pas fait des enfants pour qu’ils passent leur vie chez le médecin.