Sud Ouest
La Dépakine, ce médicament qui soigne l’épilepsie, est à l’origine de troubles du développement du fœtus, même lorsque le produit est pris par le père, selon une étude française. Jean-Marc Laurent, père de deux filles, porte plainte contre le laboratoire Sanofi
Jean-Marc Laurent cherche une photo de sa fille Margot sur son téléphone. Parce qu’elle est si jolie, que ses handicaps sont invisibles à l’œil nu, parce qu’elle aurait pu être une adolescente turbulente, agaçante et adorable. Juste ça. Mais Margot écrit comme une enfant de 8 ans, elle se perd, ne trouve pas les mots, ne tient pas un verre sans risquer de le casser, se cogne partout. Diagnostiquée multi-dys, sa vie compliquée a contraint son père, ancien homme de médias, à cesser de travailler. Né à Pau, après des années d’une vie professionnelle derrière les micros et dans le petit écran, il s’est installé à Bordeaux avec sa femme et ses deux filles, et consacre le reste de sa vie à accompagner Margot pas à pas, les épaules lourdes d’une culpabilité insondable.
Jean-Marc Laurent combat depuis plus de dix ans pour que la transmission de pathologies par les pères soignés par Dépakine soit reconnue.
GUILLAUME BONNAUD / SO
« Je prenais de la Dépakine à haute dose lorsque Margot a été conçue. Je ne savais rien des risques générés par ce médicament »
« Les difficultés de Margot, c’est moi qui les lui ai transmises. J’ai été soigné pour des crises d’épilepsie après un voyage à Madagascar où j’ai contracté un parasite, le ténia, qui s’est installé dans mon cerveau, dans les années 1990. Pour empêcher ces crises, je prenais de la Dépakine à haute dose lorsque Margot a été conçue. Je ne savais rien des risques générés par ce médicament. »
Interdit en 2015
Alors, en plus de la culpabilité, Jean-Marc Laurent se débat avec une colère sourde, qui l’a guidé vers l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Apesac), laquelle, jusque-là, ne défendait que les mères ayant consommé la Dépakine au moment de la conception de leur enfant.
« Margot était un magnifique bébé, se souvient-il. Elle ne dormait que trois heures par nuit. Nous observions des maladresses. J’ai mis deux ans à lui apprendre à faire de la balançoire. Dyspraxie, dysphasie, etc. Elle souffrait d’un millefeuille de dys, et d’une déficience intellectuelle. En 2012 j’ai entendu parler de Marine Martin, la lanceuse d’alerte de l’Apesac. En 2015, la Dépakine a été interdite aux femmes enceintes, Margot avait 7 ans, et j’ai fait le lien avec mes prises de Dépakine. Une intime conviction. Mais tous les médecins à qui j’en parlais m’assuraient que non. Que c’était impossible. » Marine Martin l’a cru, l’Apesac a financé une étude. En 2023, l’Agence européenne du médicament avertissait d’« un possible risque de troubles du développement chez l’enfant, sur la base d’une autre étude réalisée dans les pays scandinaves ».
Risque « potentiel » : qui croire ?
Les résultats de ces premières études ne suffisent pas à mobiliser, le risque n’est que « potentiel ». Et puis, comme le souligne Jean-Marc Laurent, « l’épilepsie est une maladie honteuse, cachée, beaucoup d’hommes n’ont pas osé rendre publique leur affection, de peur de perdre leur boulot ou d’être déconsidérés ». « De mon côté, reprend-il, en plus de m’occuper de ma fille, je me suis engagé sur le plan associatif auprès de la Fédération française des dys. J’ai organisé des ateliers radio au sein duquel ces enfants trouvaient un épanouissement. » Il se mobilise tout entier pour défendre les « papas Dépakine », intervient à la radio, dans les journaux, porte ce combat au nom de Margot. Mais le doute quant à la légitimité de cette bataille existe encore.
« Je suis en train de porter plainte contre Sanofi pour empoisonnement »
Jusqu’aux résultats, sans appel, de cette ultime étude, dont l’immense cohorte, la plus vaste sur le sujet en Europe, est un gage de sérieux concernant ses conclusions. Le 6 novembre dernier, le porteur de l’étude, le groupement d’intérêt scientifique EPI-Phare, annonçait que « l’exposition paternelle au valproate [le produit actif de la Dépakine, NDLR] pendant la spermatogenèse est associée à un risque augmenté de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant à naître ». « Cette étude a confirmé ma conviction intime, reconnaît aujourd’hui Jean-Marc Laurent. Et désormais je vais organiser la bataille, avec Apesac, pour alerter les pères, les médecins. Le laboratoire Sanofi m’a empoisonné, a empoisonné notre famille, mes filles peut-être sur plusieurs générations. »
Alerter les pères
« Je suis en train de porter plainte pour empoisonnement contre Sanofi, mon avocat est Me Charles Joseph-Oudin, celui du Médiator. Sanofi exige de prouver que j’étais bien sous Dépakine au moment de la conception de mes filles – un casse-tête, car mon médecin de l’époque étant décédé, ses dossiers médicaux ont été détruits. »
Désormais lui-même lanceur d’alerte, le papa de Margot, associé à la présidente Marine Martin, est mobilisé pour que les pères des enfants victimes de la Dépakine soient intégrés dans le dispositif déjà existant à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Jusque-là, il n’agit que pour les mères ayant consommé ce médicament pendant la grossesse. Informer, accompagner, indemniser. Aujourd’hui, Jean-Marc Laurent veut « tirer le signal d’alarme auprès des pères, alerter sur le don de sperme ». « aujourd’hui on sait ! »
Site de l’association : https://apesac.org
Source : Par Isabelle Castéra
