L’Humanité
Sur la sellette depuis 2016, l’antiépileptique avait déjà été reconnu responsable de troubles intellectuels et de malformations des enfants des mères sous traitement. à l’heure où Sanofi est condamné également pour les rejets toxiques de ses usines, une large étude vient de confirmer les risques suspectés, dès 2017, sur la spermatogénèse des pères sous Dépakine.
La Dépakine n’en finira-t-elle donc jamais de défrayer la chronique ? Côté pile, sa molécule active, le valproate de sodium, commercialisée depuis 1967 par divers laboratoires (Berthier, Labaz) avant son rachat en 1973 par Sanofi , devient une véritable révolution thérapeutique du traitement de l’épilepsie. Puis, en 1999, il est utilisé comme traitement de deuxième intention du trouble bipolaire, lorsque le lithium est inefficace ou mal toléré. La recherche se penche même sur certaines de ses actions inhibitrices utiles en cancérologie.
Côté face, la Dépakine et ses dérivés (Dépakote, Micropakine, Dépamide…) sont reconnus coupables d’effets tératogènes graves sur le foetus (malformations congénitales) dans 11 % des cas, et de troubles neurodéveloppementaux ou TND (troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, du développement intellectuel, du spectre de l’autisme, de la communication, des apprentissages) dans 30 à 40 % des cas. Selon les estimations, au moins 15 000 enfants ont été touchés entre 1967 et 2016, date à laquelle éclate le scandale de la Dépakine grâce à la lanceuse d’alerte Marine Martin, elle-même mère d’enfants atteints de TND (lire « le Point de vue »). Il aura fallu attendre 2017 pour que le médicament soit interdit aux femmes en âge de procréer (sauf exceptions).
En outre, dans le bassin de Mourenx, près de Pau, où est installée l’usine Sanofi produisant la Dépakine, riverains, salariés d’entreprises voisines et mêmes salariés de Sanofi ont engagé de nombreuses procédures mettant en cause la pollution émise par l’usine. Le premier cas, datant de 2023, était celui d’une salariée travaillant dans des bureaux à 50 mètres de l’usine Sanofi et dont les deux enfants ont développé les mêmes TND que ceux des « mères Dépakine», sans pourtant n’en avoir jamais consommé.
Mais qu’en est-il des enfants des hommes exposés à la molécule pendant leur spermatogenèse – période correspondante aux quatre mois précédant la conception ? C’est sur cette question que s’est penché Epi-Phare, service de pharmaco-épidémiologie créé par l’ Agence nationale de sécurité du médicament ( ANSM ) et la Caisse nationale d’assurance-maladie après le scandale du Mediator. En se basant sur les informations du Système national des données de santé, couvrant l’ensemble de la population en France, Epi-Phare a mesuré l’association entre la prise de valproate de sodium par les pères et les risques de TND chez l’enfant. Ses résultats confirment les travaux précédents menés dans les pays scandinaves. Selon le communiqué d’Epi-phare, « les résultats montrent une augmentation globale de 24 % du risque de TND chez les enfants de père traité par valproate (…) ». Le risque de troubles du développement intellectuel apparaît même doublé chez les enfants exposés.
une étude suffisamment robuste
« Et encore, ces chiffres sont loin de refléter la réalité », déplore Marine Martin. « L’étude ne compare les hommes traités par valproate de sodium qu’aux hommes traités par lévétiracétam et lamotrigine, deux autres classes médicamenteuses pour stabiliser l’épilepsie. Si elle avait comparé ces mêmes hommes à la population générale, donc à des hommes ne prenant aucun antiépileptique, les écarts auraient été très creusés. C’est du moins ce que m’a confirmé l’ ANSM », confie-t-elle.
Malgré ce biais difficilement explicable, cette étude présente l’intérêt d’une réelle robustesse, puisqu’elle s’appuie sur un panel de plus de 2 800 000 enfants nés entre 2010 et 2015. De quoi calmer les contestations scientifiques, obtenir le renforcement des conditions de prescription de la Dépakine et demander l’ouverture aux pères Dépakine du dispositif d’indemnisation par l’ Office national d’indemnisation des accidents médicaux , car pour l’heure seule les femmes en bénéficient. En plein débat du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, c’est courageux, voire téméraire.
« Le géant Sanofi refuse de donner un centime »
Après les mères, c’est au tour des pères et de leurs enfants d’être victimes de la Dépakine.
Est-ce une surprise ?
Non. Je suis la mère de deux enfants qui ont été touchés et j’ai été la lanceuse d’alerte en 2016 du scandale de la Dépakine. Très rapidement, j’ai été contactée par des pères qui ont constaté qu’après avoir pris leur traitement, leurs enfants présentaient les mêmes troubles neurodéveloppementaux que ceux des femmes sous traitement. En 2017, avec l’ ANSM, nous avons porté une demande pour qu’une étude soit réalisée. Elle a été publiée en mai 2023, mais financée par Sanofi et largement critiquable. J’ai rappelé à l’ ANSM qu’elle dispose du service Epi-phare qui a accès aux données de la Sécurité sociale, et donc d’outils pour produire des études probantes et
solides. C’est le cas ici.
«L’ ARGENT PUBLIC FINANCE L’INDEMNISATION DES VICTIMES, EN LIEU ET PLACE DE SANOFI. »
Les effets de la Dépakine ne concernent pas que les parents, puisque des salariés et des riverains de l’usine Sanofi la produisant ont déposé des plaintes à cause de la pollution atmosphérique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Depuis 2018, nous suivons le scandale des rejets massifs de Dépakine dans l’atmosphère, pour lesquels Sanofi a été mis en examen en mars 2025. Pour le bromopropane
qui entre dans sa composition, les taux ont dépassé certains jours 190 000 fois la norme autorisée, et pour le valproate de sodium, c’est 13 à 20 tonnes qui ont été rejetées dans l’atmosphère. Avec l’Apesac, vous avez obtenu un certain nombre de succès contre Sanofi…
Nous avons obtenu gain de cause pour des familles et près de 120 millions d’euros du fonds d’ indemnisation des victimes (l’Oniam) pour quelque 2000 familles. Mais Sanofi refuse jusqu’à aujourd’hui de donner un centime à ce fonds. C’est donc l’argent public qui finance l’ indemnisation des victimes en lieu et place de Sanofi.
Pourquoi ne pas demander le retrait du marché de la Dépakine ?
Parce qu’il y a des patients qui sont pharmacorésistants et qui ne répondent qu’ à ce traitement. Mais je plaide pour qu’ il ne soit prescrit qu’en dernière intention. (1)
Marine Martin est présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac).

