Cours Administrative d’Appel de Paris
La cour administrative d’appel de Paris confirme, pour des enfants nés entre 1999 et 2009, que l’Etat doit réparer partiellement les conséquences de l’insuffisance de l’information donnée aux médecins et aux patientes sur les risques pour l’enfant à naître.
Par cinq arrêts du 14 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Paris juge qu’en ne faisant pas modifier l’autorisation de mise sur le marché de la Dépakine afin que les patientes soient suffisamment informées des risques pour le fœtus en cas d’exposition à ce médicament, soit par l’intermédiaire des médecins prescripteurs, soit directement par la lecture de la notice de ce produit, l’agence chargée de la sécurité du médicament a manqué à ses obligations et commis une faute engageant la responsabilité de l’Etat.
La Dépakine est un médicament de référence dans le traitement de l’épilepsie, pathologie qui peut dans certains cas, si elle n’est pas prise en charge, être mortelle. Toutefois, elle s’est également avérée être la cause de malformations congénitales, et de troubles neurodéveloppementaux chez les enfants de femmes traitées pendant leur grossesse. La gravité de ces risques pour l’enfant à naître, documentés progressivement à partir des années 1980 pour les premières et des années 2000 pour les secondes, impose que la patiente soit dument informée des conséquences d’une grossesse avec maintien du traitement, soit par son médecin traitant prescripteur, lui-même informé par le résumé des caractéristiques du produit, soit par la notice du médicament, documents soumis par le laboratoire pharmaceutique à l’agence chargée par l’Etat de la sécurité du médicament. Ces documents doivent être actualisés selon l’état des connaissances scientifiques. Saisie de plusieurs appels contre des jugements du tribunal administratif de Montreuil, la cour confirme que les autorités sanitaires de l’Etat n’ont pas été assez réactives dans la mise à jour, selon les périodes, de tout ou partie de ces documents, compte tenu des suspicions sérieuses mises en évidence par les études existantes. Dans ces conditions, les patientes n’ont pas pu prendre en connaissance de cause leur décision d’engager ou de poursuivre leur grossesse et les autorités sanitaires ont commis une faute, alors même que l’interruption du traitement pouvait, dans bien des cas, avoir des conséquences très graves pour leur propre santé.
L’Etat n’est toutefois responsable que d’une partie des préjudices subis.
En effet, tout d’abord, la cour confirme que lorsque des fautes ont été commises par le laboratoire Sanofi, qui commercialisait la Dépakine, ou par les médecins prescripteurs, ces fautes sont de nature à exonérer l’État de tout ou partie de l’obligation de réparer les dommages subis par les enfants et leurs proches. Contrairement au tribunal, elle ne retient toutefois pas de faute du laboratoire, qui avait proposé sans succès des modifications des informations contenues dans les documents, pour des grossesses menées en 2006, 2008 et 2009 et ne retient pas, sauf cas particulier, de faute des médecins.
Ensuite, la cour juge que ce manque d’information n’est pas la cause directe des troubles que connaissent les enfants, mais a seulement entraîné, pour les mères, une perte de chance de prendre la décision de changer de traitement, lorsqu’une telle possibilité existait, ou bien de renoncer à une grossesse. Cette perte de chance dépend de l’état des connaissances scientifiques, de l’existence d’alternatives thérapeutiques au moment de la grossesse et des autres éléments de chaque dossier. La part de responsabilité de l’Etat est d’autant plus élevée que la perte est importante.
Enfin, la cour tire les conséquences de l’existence d’un fonds d’indemnisation permettant une réparation amiable, créé par la loi, et considère que la signature d’un protocole d’indemnisation entre les victimes et l’Etat dans ce cadre met fin au litige.
Lire les arrêts nos 21PA01990, 21PA02510, 21PA04398, 21PA04849, 22PA02381.