Sud Ouest
Nathalie Orti a consommé l’anti-épileptique lorsqu’elle était enceinte de son fils Esteban, aujourd’hui atteint de troubles neurodéveloppementaux. La famille mène une bataille juridique pour faire reconnaître la responsabilité du laboratoire
Expertise :«Ne pas baisser les bras»
« On a la chance d’avoir un gamin qui s’accroche. Il en veut vraiment »
Le combat d’une vie. Depuis neuf ans, Nathalie Orti se bat pour faire reconnaître la responsabilité de l’entreprise Sanofi –et de son anti-épileptique, la Dépakine– dans l’apparition de troubles neurodéveloppementaux chez son fils Esteban. Cette habitante de Misson (Landes) a pris ce médicament contenant du valproate de sodium au début des années 2000, alors même que, depuis les années 1980, la littérature scientifique indiquait des possibles malformations congénitales graves du fœtus. Àce moment-là, aucun médecin ne lui notifie un risque entre son traitement et sa grossesse.
Elle décide alors d’entreprendre avec son mari des démarches judiciaires au civil en 2016. Le dernier rebondissement remonte au 13mars 2025, lors d’une audience de plaidoirie qui s’est tenue au tribunal de Nanterre. La décision de justice est attendue pour le 26juin.
Quelques mois plus tôt, en septembre 2024, Sanofi a été condamné pour «produit défectueux» et «défaut d’information» dans le dossier de son amie et lanceuse d’alerte Marine Martin. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament, des dizaines de milliers d’enfants sont concernées dans cette affaire, étant donné que cet anti-épileptique est commercialisé depuis 1967. «Je voulais absolument être présente. Les avocats de Sanofi sont revenus longuement sur mon dossier et n’ont pas hésité à donner certaines informations touchantes. C’était difficile de ne pas hurler.» Depuis le début de cette affaire –qui concerne plusieurs milliers de femmes–, l’entreprise maintient sa ligne de défense en refusant de reconnaître une responsabilité, alors même que dans le cas d’Esteban, une expertise démontre le contraire.
Tout bascule en 2015 lorsque cette Landaise tombe sur un article de presse. «Je comprends à ce moment-là que les problèmes d’Esteban sont sûrement en relation avec ce médicament. Quand la nouvelle nous tombe dessus, on est abasourdi et on se met en ordre de bataille», retrace-t-elle.
Après de nombreux examens médicaux, la famille finit par se rendre à l’hôpital Necker à Paris. Dans une pièce remplie de professionnels de santé, le jeune Esteban est examiné. Un pédiatre prononce une phrase qui marque encore aujourd’hui Nathalie Orti: «Votre enfant a 11ans mais il a un niveau de lecture d’un enfant de 3ans», raconte-t-elle encore, d’une voix tremblante. «En 2017, ce moment a vraiment été traumatisant. Quand je suis sortie de là, je n’arrivais pas à pleurer. J’étais complètement submergée.»
Car depuis la naissance de son fils, Nathalie Orti nourrit un sentiment de culpabilité. «Je me suis demandée pourquoi je n’étais pas allée chercher des informations.» Pour ne pas être écrasée par ce poids, elle prend la décision de s’engager auprès de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Apesac). Membre active de cette association lorsque le scandale éclate, elle reçoit alors des centaines d’appels de familles dans le même cas. «J’avais besoin d’en parler. J’ai pu comprendre le parcours de tous ces gens et me rendre compte que mon fils était une victime. Que ce n’était pas de ma faute.»
Dans son dossier, la Landaise attaque également Sanofi pour «faute» pour la mise en circulation de la Dépakine. «Il n’y a pas un jour où je ne pense pas au 26juin. Il n’est pas question de baisser les bras. Même si cela doit durer cinq ans de plus.» En effet, Nathalie Orti s’attend à ce que l’entreprise fasse appel et se pourvoie en cassation si elle est condamnée en première instance. «Àla fin, ce que l’on veut, c’est la condamnation de Sanofi», ajoute-t-elle.
Aujourd’hui âgé de 19ans, Esteban, son fils, est actuellement en première professionnelle dans l’agglomération de Dax. Il peut compter sur ses deux parents pour l’accompagner, lorsque le moment sera venu, dans son début de vie au travail. «Notre famille s’est construite autour de lui, reprend la maman. On a la chance d’avoir un gamin qui s’accroche. Il en veut vraiment». Et cette famille aurait pu être encore plus grande sans les problèmes de santé d’Esteban. «On n’a pas voulu faire un deuxième enfant car on pensait qu’on aurait pu avoir les mêmes difficultés.»
Cette «blessure», aucune condamnation ou indemnité ne pourra la guérir. «Le mal est fait», lance Nathalie Orti. Cette dernière s’est jetée dans cette bataille dans son intérêt, mais aussi dans un esprit collectif pour que, au travers d’une action menée par l’Apesac, d’autres familles puissent être en mesure de se défendre. Pour elle, la condamnation de Sanofi lui permettrait de passer de la colère… à l’apaisement.