Midi Libre, 10 septembre 2024
Le tribunal judiciaire de Paris a condamné Sanofi, lundi 9 septembre, à verser 285 000 euros à Marine Martin, présidente de l’association de victimes de la Dépakine réunies au sein de l’Apesac pour « défaut d’information » et « faute de vigilance », en réparation des handicaps subis par ses enfants, nés sous Dépakine.
« On a gagné, je n’arrive pas à y croire, je suis encore sous le choc » : douze ans après avoir déposé plainte contre Sanofi, Marine Martin, lanceuse d’alerte, domiciliée à Pollestres, dans les Pyrénées-Orientales, a remporté, lundi, une victoire capitale en justice contre le laboratoire.
Sanofi condamné, vous l’espériez ?
Je n’y croyais plus, après douze ans de procédure. La montagne infranchissable de la prescription était quasi-impossible à franchir, et c’est pour ça que j’avais incité mes enfants à accepter l’indemnisation de l’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux), qui était une indemnisation au rabais. Ils n’avaient plus envie de subir des expertises. Mon mari, qui ne veut plus entendre parler des procédures judiciaires, avait aussi accepté l’indemnisation de l’Oniam.
Moi, on me proposait 16 000 euros, c’est ridicule. Je voulais aller chercher la condamnation.
Que vous avez finalement obtenue…
Fin 2023, il y a eu une décision sur le Covid qui nous a donné espoir : un laboratoire a été jugé sur le régime de la faute. On a compris qu’il était possible d’obtenir une condamnation sur le régime de la faute.
Le 22 avril dernier, lorsque je suis montée à Paris pour la plaidoirie, j’ai trouvé la juge assez à l’écoute, je me suis dit qu’on avait peut-être une chance de gagner, sans y croire vraiment. J’ai appris la nouvelle dans le train, alors que j’étais en route pour Paris, je pleurais toute seule. C’était un peu surréaliste.
C’est douze ans de combat.
Ils sont condamnés sur la défectuosité de la Dépakine, et n’ont pas pu faire valoir la prescription de dix ans.
« Aujourd’hui, ma fille ne veut pas d’enfant parce qu’elle a peur de l’effet transgénérationnel de la Dépakine »
C’est-à-dire ?
La prescription des faits, dix ans après la prise d’un médicament, est une cause exonératoire, dite « d’exception pour risque de développement » : le laboratoire peut invoquer le fait que les connaissances scientifiques ne permettaient pas, pendant mes grossesses et sur la période de dix ans qui a suivi, de déceler un problème.
Si on s’était placé dans ce cadre-là, mes enfants étaient trop âgés pour permettre une condamnation. Les condamnations précédentes de Sanofi, obtenues au tribunal de Nanterre, étaient sur des dossiers « faciles », des enfants nés après 2006. Cette fois, la juge a écarté cette cause exonératoire. Sanofi a été condamné pour faute sur le défaut d’information, et sur le fait que la Dépakine n’offrait pas la sécurité à laquelle les femmes pouvaient prétendre.
Vous espériez une indemnisation aussi importante ?
Non. Devant le tribunal de Nanterre, une famille avait gagné 35 000 euros au lieu de 16 000 euros. Obtenir 80 000 euros uniquement sur la perte de revenus professionnels est déjà énorme. C’est une forme de reconnaissance que j’ai dû arrêter ma carrière professionnelle pour m’occuper de mon enfant handicapé. Je me sens apaisée.
Et les préjudices subis par votre mari et vos enfants sont reconnus…
Il y a des pôles de préjudices. L’Oniam n’avait pas tout reconnu, notamment le préjudice d’anxiété. On est allé chercher ça : aujourd’hui, par exemple, ma fille ne veut pas d’enfant parce qu’elle a peur de l’effet transgénérationnel de la Dépakine. C’est aussi évoqué dans la décision et c’est fort.
Mais la somme qui nous a été allouée va être bloquée, car Sanofi va faire appel.
Vous en êtes sûre ?
Oui, c’est toujours le cas, j’ai la certitude que Sanofi ira jusqu’à la Cassation.
Quelles sont les perspectives ouvertes par le jugement du tribunal judiciaire de Paris ?
Ouvrir à d’autres familles, qui ont aussi des enfants majeurs de déposer plainte devant le tribunal. C’est très important. Jusqu’ici, les familles qui avaient des enfants « vieux » n’avaient que l’Oniam comme perspective d’indemnisation. Une nouvelle porte s’ouvre. La juge a pris une décision très courageuse qui, je l’espère, va remotiver les familles.
Et vous êtes aussi déjà tournée vers la perspective d’un procès pénal ?
Oui, j’espère la clôture de l’instruction fin 2024, ce qui fait qu’on n’aura pas de date de procès avant 2026. On a franchi une grosse étape,après avoir gagné l’action de groupe en 2022. Mais le combat va continuer. Le pénal se profile et les confrontations vont être rudes. Je suis prête à continuer le combat.
Des enfants continuent à naître sous Dépakine ?
Selon l’ANSM, c’est le cas de 220 enfants chaque année, c’est beaucoup trop. Des familles continuent à me contacter.
Article source : Scandale de la Dépakine : « Je voulais aller chercher la condamnation de Sanofi, je suis prête à continuer le combat », assure Marine Martin
Par Sophie Guiraud