Ouest-france, 10 septembre 2024
Après douze années de procédure judiciaire, le tribunal judiciaire de Paris condamne le laboratoire Sanofi à verser à la mère de famille, ainsi qu’à ses deux enfants, près de 285 000 € d’indemnités.
Marine Martin, avec son fils Nathan et son mari Florent. | OUEST-FRANCE
« Je me sens apaisée. C’est une belle victoire ». Voilà douze ans que la lanceuse d’alerte Marine Martin attendait cette décision de justice. Le tribunal judiciaire de Paris a condamné, le lundi 9 septembre 2024, le laboratoire Sanofi à lui verser, ainsi qu’à ses deux enfants, Salomé et Nathan, près de 285 000 € d’indemnités.
Cette habitante des Pyrénées-Orientales, originaire d’Angers (Maine-et-Loire), se bat depuis des années avec son mari pour faire reconnaître la responsabilité d’un traitement antiépileptique, la Dépakine , qu’elle a pris pendant ses grossesses, dans les malformations de ses deux enfants, aujourd’hui adultes.
Sa fille aînée Salomé est née avec des déformations au visage et a souffert de troubles dyspraxiques, visuels et cognitifs. Le cadet, Nathan, est né lui aussi avec plusieurs malformations, au visage, aux mains et à la verge, et a été diagnostiqué autiste Asperger. Le jugement, que nous avons consulté, déclare Sanofi « responsable d’un défaut d’information des risques malformatifs et neurodéveloppementaux de la Dépakine , qu’elle commercialisait, du maintien en circulation d’un produit qu’elle savait défectueux, et d’une faute de vigilance au moment des grossesses de Mme Marine Martin entre 1998 et 2002 ».
Le tribunal condamne, notamment, Sanofi à verser 47 500 € à Salomé et autant à son frère Nathan, au titre du « préjudice d’anxiété ». Le laboratoire doit verser 80 750 € à Marine Martin au titre du préjudice professionnel – elle a cessé de travailler à partir de 2013 pour se consacrer à ses enfants –, 43 700 € au titre du « préjudice d’affection », et 28 500 € au titre d’un « préjudice extra-patrimonial exceptionnel », pour un « trouble dans les conditions d’existence ». Ce jugement n’est pas définitif. Sanofi, qui n’a pas répondu à notre sollicitation, devrait selon toute probabilité faire appel.
La condamnation la plus lourde à ce jour
Ce n’est pas la première condamnation de Sanofi dans l’affaire de la Dépakine . Trois autres familles ont déjà obtenu des décisions favorables en première instance, dans des affaires plus récentes. Mais c’est jusqu’ici la condamnation la plus importante, « et la première qui concerne des enfants majeurs », souligne Marine Martin.
« Elle fait aussi tomber la barrière de la prescription de dix ans qu’invoquait Sanofi » , se réjouit la lanceuse d’alerte, qui a fondé une association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), pour fédérer les familles victimes de ce médicament. « J’avais dit à mes enfants, qui n’en pouvaient plus de subir des expertises judiciaires, d’accepter la proposition de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) ». Ce qu’elle n’a pas voulu faire pour sa part.
L’Oniam indique avoir traité 3 910 demandes d’indemnisation de victimes de la Dépakine depuis 2017, permettant de verser 58 millions d’euros aux victimes. L’Oniam n’avait, toutefois, pas indemnisé les deux enfants de Marine Martin pour le préjudice d’anxiété, pris en compte par la décision du tribunal judiciaire de Paris.
Selon l’Agence nationale du médicament et l’Assurance maladie, 2 150 à 4 100 enfants auraient été victimes d’au moins une malformation majeure, depuis 50 ans, après avoir été exposés à la Dépakine , une estimation contestée par Sanofi. Nathan Martin, étudiant, vit chez ses parents et a toujours besoin de six heures d’aide par semaine et une heure par jour. Salomé Martin est, aujourd’hui, professeur de mathématiques. « Elle me dit qu’elle ne sait pas si elle aura un jour des enfants », témoigne sa maman . « Je suis fière d’eux. Ils s’accrochent tous les deux ! »
Article source : TÉMOIGNAGE. Dépakine : Marine Martin, la lanceuse d’alerte qui a gagné contre Sanofi, se confie
Par Henri FRASQUE