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Les dangers de la Dépakine pour les femmes enceintes sont connus depuis 1980

Factuel

Le traitement antiépileptique de Sanofi peut avoir des conséquences graves sur la santé des enfants à naître. Le monde médical le savait depuis le début des années 80. Pourtant, aucune modification de l’information n’a été faite avant 2015, et de nombreuses victimes sont nées avec des problèmes de santé.

Le 16 octobre prochain, se tient le procès en responsabilité civile de la lanceuse d’alerte du scandale de la Dépakine, Marine Martin, contre le laboratoire Sanofi. Le verdict est important et pourrait être l’aboutissement de près de 12 ans de lutte pour faire valoir ses droits en tant que victime et reconnaître la responsabilité du laboratoire pharmaceutique.

Officiellement, l’affaire Dépakine voit le jour en 2011, lorsque Marine Martin fonde l’Apesac, l’association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant. Elle souhaite attirer l’attention du public sur la dangerosité du valproate de sodium (principe actif de la Dépakine) et ses conséquences sur la santé des bébés in utero, saisir toutes les institutions de santé afin de modifier l’information existante sur le médicament, et aider toutes les victimes à obtenir réparation du préjudice.

Marine Martin a démarré des recherches personnelles en 2009, en s’interrogeant sur les liens éventuels entre le traitement antiépileptique, la Dépakine, qu’elle prend depuis l’enfance, et les problèmes de santé de ses enfants. Elle le trouve assez rapidement. Elle découvre également que le milieu de la santé ne pouvait pas l’ignorer. En 1980, déjà, la prestigieuse revue scientifique The Lancet publiait un article sur les malformations physiques engendrées par le valproate pendant la grossesse. Quelques années plus tard, en 1984, est publiée une étude sur les troubles neurocomportementaux engendrés par le valproate de sodium intitulée « Fetal valproate syndrome » du docteur Jonh H. DiLiberti. Les problèmes de santé que la mère de famille affronte y sont résumés. Comment est-il possible que les organismes de santé, disposant de ces informations depuis 1984, n’aient pas alerté les malades des potentielles conséquences du valproate sur les grossesses ?

L’antiépileptique le plus utilisé au monde

Commercialisé en 1967, le valproate de sodium est d’abord produit par le laboratoire Labaz, qui sera racheté en 1973 par Sanofi. C’est au milieu des années 70 que ce médicament devient l’antiépileptique le plus consommé au monde. Dès 1980, les études scientifiques avancent les risques pour les enfants dont la mère serait sous traitement.

L’une des malformations caractéristiques est le spina bifida, un défaut de fermeture du tube neural. Il en résulte des problèmes moteurs et de graves problèmes gastriques et rénaux. Le deuxième problème que rencontrent les familles est un trouble cognitif, avec des enfants qui présentent un QI verbal de 8 à 15 points inférieur à la moyenne, des retards de la marche et des problèmes de mémorisation. Malgré l’étude du Docteur John H. DiLiberti, mettant déjà en avant les problèmes neurocomportementaux, il faudra attendre les années 2000 et la mise en place de nombreuses autres nouvelles études pour que les autorités sanitaires se saisissent de l’information.

Près de 10% d’enfants dont la mère a été sous traitement pendant la grossesse naissent avec des malformations physiques, et 40% sont atteints de troubles comportementaux. Pourtant, malgré l’identification des conséquences sur un pourcentage important d’enfants à naître, l’Apesac estime à 14.300, le nombre de femmes à avoir pris du valproate de sodium durant leur grossesse entre 2007 et 2014.

Le tour de passe-passe de Sanofi

 

Le laboratoire réfute toute forme de responsabilité. Sanofi aurait ainsi demandé, selon les échanges que Factuel a eu avec ses équipes, que les risques de malformations du fœtus exposé au valproate de sodium soient mentionnés dans les documents d’information à destination des médecins et des patients dès le début des années 1980 : « Après plusieurs demandes, l’Autorité de santé accepte qu’ils soient mentionnés dans les documents à destination des professionnels de santé en 1989 ». À compter de cette date, les médecins sont dans l’obligation d’informer leurs patientes des risques de malformations en cas de grossesse sous dépakine. Et si le médecin ne le fait pas, la patiente continue d’ignorer les risques.

Selon Marine Martin, l’information n’était pas suffisante. Ni au début des années 90, ni au début des années 2000. Elle revient sur les dates clés : « En 1984, les malformations physiques sont parfaitement décrites et on parle déjà des problèmes psychomoteurs. En 1994, on commence à parler des troubles autistiques induits par la prise d’antiépileptiques. En 1996, des anomalies neurologiques sont décrites pour qu’enfin, en 2002, la notice de la Dépakine précise uniquement la mention « en cas de grossesse, consultez votre médecin ». » Il faudra, en effet, attendre 2006 pour que la Haute Autorité de Santé fasse modifier la notice. Dès lors, la Dépakine est seulement déconseillée pendant la grossesse.

« Pour les risques de retards neurodéveloppementaux, Sanofi a alerté à plusieurs reprises l’Autorité de santé dès le début des années 2000 », se défend le laboratoire. Soit 16 ans après les premières inquiétudes sur le sujet.

Il est vrai qu’en 2003 (voir « nos preuves »), Sanofi envoie un courrier à l’ANSM pour proposer de rajouter dans la notice que la Dépakine augmente le risque de développement de troubles psychomoteurs. L’ANSM a alors refusé, arguant que le laboratoire n’apportait pas les études scientifiques corroborant ces éléments. Sanofi n’a finalement pas fourni ces éléments, et la notice n’a pas été modifiée. Une attitude que dénonce la présidente de l’Apesac, selon qui le laboratoire pharmaceutique a fait mine de vouloir modifier les informations à l’attention des usagers, mais en usant à chaque fois d’arguments irrecevables pour les experts de l’ANSM : « Si vous regardez de près la demande de modification, il est dit que c’est l’épilepsie de la mère qui est responsable des problèmes. Je comprends que l’ANSM ait refusé. »

« Les informations données dans les notices sont incompréhensibles »

« En réalité, pour qu’une information complète et compréhensible soit délivrée, il faut attendre 2015 », précise Charles Joseph- Oudin, avocat en charge du scandale Dépakine. « Avant cette date, les informations données dans les notices sont incompréhensibles et inutilisables pour les femmes. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il faut regarder à partir de quel moment le nombre de grossesse sous Dépakine diminue. Pour constater si une information est correctement donnée, il faut vérifier si le risque disparaît ou, au moins, commence à diminuer. Il faudra attendre 2015-2016 pour que le nombre de grossesse sous dépakine commence à diminuer. »

L’année 2015 correspond au début de l’enquête de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), diligentée sous les menaces de Marine Martin. « Je vais à ce moment-là obliger le gouvernement français, sous la menace de déposer 250 dossiers de plaintes au tribunal de Paris, à diligenter une enquête de l’IGAS pour connaître les responsables de ce scandale
sanitaire », explique la lanceuse d’alerte. La même année, l’ANSM annonce publiquement que la substance augmente de 30 à 40% les risques de retard d’acquisition de la marche et ou de la parole, des difficultés d’élocution et de langages, des troubles de la mémoire et des capacités intellectuelles plus faibles que celles des autres enfants. La demande est faite aux médecins de ne plus prescrire de Dépakine aux femmes en âge de procréer et aux femmes enceintes, sauf en cas d’inefficacité des alternatives médicamenteuses.

Pour Charles Joseph-Oudin, « l’Autorité de santé ne fait pas correctement son travail ». Pour imposer des changements de notice et améliorer l’information, il faut, explique-t-il, « écrire aux médecins, écrire aux patients, changer le packaging pour faire apparaître des logos et modifier profondément l’information ».

« La philosophie du système de santé n’est pas sensible aux risques »

Dans un second temps, l’avocat dénonce « une sorte de philosophie du système de santé qui n’est pas sensible aux
risques ». Charles Joseph-Oudin, qui avait défrayé la chronique lors du scandale du Médiator alors qu’il représentait les victimes, compare les deux affaires. « Comme pour le Médiator, devant des risques qui apparaissent et des signaux qui sont faibles au début, personne ne fait rien. Les signaux sont ensuite de plus en plus importants mais l’ambiance générale dans les laboratoires et à l’Agence de santé, c’est d’avoir une perception très biaisé du risque. Leur fonctionnement est de ne pas alerter sur les risques tant que les risques ne sont pas certains. Alors qu’au contraire, nous dit la jurisprudence, on doit alerter sur des risques qui sont faibles, par définition. » Il aura fallu au total 43 ans entre la première étude dénonçant des malformations foetales et l’interdiction du traitement pendant la grossesse. Pendant ces quatre décennies, tous les travaux ont concerné les mères. Une bombe a toutefois été lâchée cet été par l’ANSM. 

 

Si, jusqu’ici, seules les mères sous traitement semblaient représenter un risque pour leur progéniture, une étude, commandée par l’Agence européenne du Médicament (EMA) et publiée au début du mois d’août dernier, révèle que les pères sont également concernés. Les pères ayant pris du valproate de sodium dans les 3 mois précédant la conception d’un enfant, peuvent, eux aussi, représenter un risque pour l’enfant. Un chiffre évalué à 6%. L’ANSM, qui a dévoilé cette étude, estime qu’elle ne « permet pas de tirer de conclusions définitives à ce stade ».

De nombreux pères souhaitent tout de même porter plainte. « Je prends de la Dépakine depuis l’an 2000, à la suite d’un voyage en Afrique où j’ai attrapé une parasitose. Ma fille, Margaux, est née en 2008. C’était un bébé qui ne dormait pas, qui était assez nerveux, ensuite c’est à l’école qu’on s’est rendu compte de ses difficultés », raconte Jean-Marc. Il découvre alors que sa fille souffre de tous les troubles que le valproate de sodium peut transmettre au fœtus : « Les troubles cognitifs, neurodéveloppementaux, retard d’apprentissage, de la parole… Tous. Aujourd’hui elle a 14 ans mais elle en a 8 dans sa tête. »

Un nouveau scandale risque-t-il d’éclater ? L’histoire semble se répéter pour Sanofi : « Certaines de ces données sont toujours en cours d’analyse et des investigations supplémentaires sur ce risque se poursuivent, l’EMA estimant que les premiers résultats doivent être approfondis ». 

 

DES FAITS

Le 16 octobre prochain, se tiendra le procès en responsabilité civile de la lanceuse d’alerte du scandale de la Dépakine, Marine Martin, contre le laboratoire Sanofi. Le verdict est important : cela pourrait être l’aboutissement de près de 12 ans de lutte pour faire valoir ses droits en tant que victime et reconnaître la responsabilité du laboratoire pharmaceutique.

DES EFFETS 

 

Le traitement antiépileptique de Sanofi peut avoir des conséquences graves sur la santé des enfants à naître. Le monde médical le savait depuis le début des années 80. Pourtant, aucune modification de l’information n’a été faite avant 2015, et de nombreuses victimes sont nées avec des problèmes de santé.

Le laboratoire réfute toute forme de responsabilité. Sanofi aurait ainsi demandé, selon les échanges que Factuel a eu avec ses équipes, que les risques de malformations du fœtus exposé au valproate de sodium soient mentionnés dans les documents d’information à destination des médecins et des patients, dès le début des années 1980. 

 

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