L’Indépendant
Marine Martin, vous remportez en France votre deuxième victoire judiciaire contre Sanofi : Juliette vient d’être indemnisée en ce mois de mai pour avoir été exposée à l’anti-épileptique Dépakine du laboratoire Sanofi ? Juliette, qui est âgée de 16 ans, et qui est donc mineure, a fait condamner le laboratoire Sanofi à plus de 450000euros de préjudice pour les dix premières années de sa vie. Je connais bien sa famille, Juliette est très sérieusement handicapée avec des troubles autistiques profonds, des malformations de la colonne vertébrale, c’est un cas lourd et une victoire pour nous, mais on n’a pas gagné la guerre. Je suis contente pour eux, ils ont porté plainte en 2014, soit deux ans après moi, et aujourd’hui leur dossier a été jugé avant le mien. L’important est qu’elle ait pu gagner et qu’elle soit indemnisée.
450 000 euros pour une vie gâchée, est-ce une somme correcte ? C’est une décision de justice. Le tribunal a indemnisé 341000euros pour Juliette, soit 70% du préjudice; 17000euros pour son frère qui a perdu la chance d’avoir une soeur normale; et 46000euros pour chacun des parents, la mère et le père. Il y aura un nouveau passage devant le tribunal judiciaire à la majorité de Juliette, dès lors qu’elle sera consolidée, son état de santé ne pouvant plus évoluer.
Dans ce scandale de la Dépakine, combien de familles ont-elles été indemnisées ? Côté procédures judiciaires, c’est la deuxième. On a défendu en 2017 le cas de la petite Camille, de la région d’Orléans, qui avait des malformations graves dues à la Dépakine, notamment au niveau du bloc oculaire, ce qui fait qu’elle a fortement été indemnisée, à hauteur de trois millions d’euros, parce qu’elle a besoin d’une assistance de vie quotidienne.
Le géant pharmaceutique Sanofi a-t-il fait appel ? Oui, mais le tribunal a confirmé sa condamnation en 2019.
Pour Juliette, Sanofi a également interjeté appel de la décision du tribunal judiciaire de Nanterre prononcée en ce mois de mai… Sanofi ne change pas sa ligne de conduite. En France comme partout en Europe. En avril dernier, il y a eu trois décisions en Espagne concernant trois victimes espagnoles qui ont été indemnisées au tribunal de Madrid. Sanofi se fait condamner partout et pourtant le laboratoire reste dans le déni de sa responsabilité. C’est insupportable pour les victimes.
Combien de procès contre Sanofi et son médicament anti-épiletique Dépakine sont-ils à venir en France ?
Plein. Je monte la semaine prochaine sur Paris pour suivre les plaidoiries de quatre dossiers au tribunal de Nanterre pour une famille de l’Aveyron, une du Limousin, une d’Alsace et une de Normandie. Dans l’affaire de l’Aveyron, il y a un enfant qui est né en 1989, et j’ai donc déjà prévenu la famille, elle ne sera sûrement pas indemnisée parce que la décision de justice pour les troubles autistiques a fixé à 2001 les prises en charge. Avant, Sanofi est censé ne pas avoir su et donc ne peut pas être tenu pour responsable.
Vous avez personnellement deux enfants victimes de la Dépakine, avez-vous été indemnisée ? Pas encore. Pour Nathan, né en 2002, je pense qu’il sera indemnisé sur les troubles neuro-comportementaux. Par contre, Salomé est née en 1999, et je crois qu’elle ne le sera pas. Heureusement pour elle, elle a des troubles autistiques légers qui lui permettent d’être indépendante. Elle pourra avoir une vie autonome ce qui n’est pas le cas de mon fils. Quoi qu’il en soit, mon dossier devrait passer au tribunal en 2023. Aujourd’hui Nathan a 20 ans, il est majeur. Ces handicaps mettent énormément de pression à la maison et si l’affaire de mes enfants pouvait être traitée rapidement, cela me permettrait de continuer à travailler sereinement, plus libre dans ma tête. Enfin soulagée.
Êtes-vous contrariée de voir les procès de vos adhérents aboutir et pas le vôtre ?
Cela me pèse énormément de savoir que j’ai réussi à faire indemniser des familles, mais pas la mienne. C’est une grosse culpabilité que je porte. Mon procès est nécessaire pour clore le sujet dans toute la famille.
Poursuivrez-vous vous le combat ensuite ?
Oui, il me tient trop à coeur. Au-delà de mon cas individuel, je me bats pour toutes les autres familles de victimes.
Êtes-vous soutenue dans ce combat sanitaire ?
Pas franchement. J’aimerais bien que les élus locaux, notamment dans les prochaines législatives, supportent davantage ma lutte. Une députée de l’Eure m’a sollicitée, François Ruffin m’a également demandé de le soutenir, mais localement rien. J’en suis triste. Je bénéficie juste d’une subvention de Pollestres et d’une du Département.
Dans l’idéal, quel serait le montant « correct » du préjudice des malformations dues à la Dépakine ?
Plusieurs millions d’euros. Dans le cas de Juliette, le dossier montera dans ces eaux-là. Le tribunal a jugé un demi-million d’euros sur onze ans. Ainsi, quand Juliette arrivera à l’âge adulte, la justice calculera en fonction de son espérance de vie pour établir la somme. Un demi-million d’euros multiplié par six, pour 60 ans de durée de vie en moyenne, cela fait trois millions. On parle là de dossiers lourds et c’est pour cela que Sanofi refuse de payer. En chiffrant et sachant que des milliers de personnes demandent réparations, le laboratoire peut être ruiné.
Ma famille en a marre mais je continuerai le combat coûte que coûte Marine Martin, présidente catalane de l’association Apesac