FAIREFACE
Développer la culture de l’alerte dans le domaine de la santé et du médico-social est capital pour éviter les négligences qui tournent aux scandales. Alors que vient de sortir un guide du lanceur d’alerte, Faire-face.fr fait le point sur les trajectoires et les avancées obtenues par quatre d’entre eux.
Vous souvenez-vous des scandales de la Dépakine (antiépileptique) et du Mediator (antidiabétique) ? Pour que ces affaires de médicaments dangereux soient révélées, il a fallu que des personnes les repèrent, se fassent une conviction et surtout les dénoncent : des lanceurs d’alerte.
Accompagnement et protection des lanceurs d’alerte
Hélas, ils en payent trop souvent le prix fort. Depuis 2018, une association, la Maison des Lanceurs d’Alerte, les conseille et les soutient. De même que l’adoption, en 2022, d’une loi visant à améliorer leur protection .
« Sur les 400 lanceurs d’alerte accompagnés, un cinquième a mis en avant des problèmes dans les domaines de la santé et l’environnement, dont un dixième dans le médico-social », indique Juliette Alibert, avocate membre de la Maison des Lanceurs d’Alerte.
Cela va du mauvais stockage des données de santé à l’utilisation d’un logiciel qui simule des accouchements encourageant le recours à la césarienne, en vue de facturer des actes supplémentaires. « Il est encore difficile de libérer la parole dans les milieux médicaux et médico-sociaux. Mais il est extrêmement important d’y développer la culture de l’alerte, car on touche à la dignité humaine », poursuit-elle.
Focus sur quatre lanceurs d’alerte ayant fait avancer les droits de tous.
Marine Martin : le scandale de la Dépakine
2009. Marine Martin est maman de deux enfants en situation de handicap. Elle découvre le lien entre le médicament antiépileptique Dépakine qu’elle a pris durant sa grossesse et les malformations et troubles neurologiques de ses enfants. Trouvant d’autres victimes, elle fonde une association.
Elle saisit l’Agence européenne du médicament, les parlementaires et obtient une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Elle fait changer les conditions de prescription et imposer un pictogramme sur les boîtes du médicament en question.
En justice, où son association mène une action de groupe, Sanofi est mis en examen pour tromperie aggravée et mise en danger de la vie d’autrui, puis homicides involontaires. Elle obtient un fonds d’indemnisation pour les victimes. En 2017, elle publie Dépakine, Le Scandale (éd. Robert Laffont)
Emmanuelle Amar : l’affaire des bébés nés sans bras
2010. Emmanuelle Amar, épidémiologiste, dirige un registre des malformations en Rhône-Alpes (le Remera) dépendant du CHU de Lyon. Elle reçoit alors le signalement étonnant de plusieurs cas concomitants de bébés souffrant d’agénésie transverse (absence de formation d’une main, d’un avant-bras…) du membre supérieur.
En 2014, elle confirme l’existence d’une concentration anormale d’au moins huit bébés aux bras atrophiés nés dans un rayon de 25 kilomètres entre 2008 et 2014. Mais ses recherches sur ce que la presse nomme “l’affaire des bébés nés sans bras” lui vaut son licenciement ainsi que ceux des membres de son équipe. Elle en obtiendra l’annulation.
Enfin, en 2021, une revue scientifique apporte la confirmation de ses soupçons. L’épidémiologiste a publié Un silence toxique (éd. du Seuil) en 2017.
Céline Boussié : maltraitance à l’IME de Moussaron
2013. Céline Boussié est aide médico-psychologique (AMP) à l’institut médico-éducatif (IME) de Moussaron, dans le Gers. Elle dénonce auprès de l’Agence régionale de santé (ARS), puis dans la presse des actes de maltraitance envers les 80 enfants, adolescents et jeunes adultes polyhandicapés de l’IME.
L’ARS lui donne raison. L’établissement passe sous tutelle judiciaire. Mais Céline Boussié perd son travail et est harcelée − des faits récemment jugés. En 2019, elle sort l’ouvrage Les Enfants du silence : donner une voix à ceux qui n’en ont pas (éd. Harper Collins).
Olivier Paolini : scolarisation défaillante à l’IME Les Hirondelles
2020. Olivier Paolini, enseignant spécialisé à l’IME Les Hirondelles, dans l’Aude, dénonce les freins rencontrés pour l’organisation des temps de scolarité. Sa direction plaide le manque de moyens. Cette année, le collège de déontologie de l’Éducation nationale lui a octroyé le statut de lanceur d’alerte. En même temps, le Tribunal de justice de Narbonne condamnait l’IME pour ne pas avoir assuré son rôle de scolarisation. Enfin, très récemment, l’ONU épinglait la France à ce sujet.
Source : FaireFace par Elise Descamps