Le Parisien
C’est une première à plusieurs égards, et un sérieux revers pour Sanofi. Le tribunal judiciaire de Paris a reconnu ce mercredi la faute du laboratoire français dans l’action de groupe intentée par une association de victimes, l’Apesac, dans l’affaire de la Dépakine.
Cet antiépileptique commercialisé depuis 1967 aurait engendré chez des bébés, exposés in utero, des malformations majeures, des décès, des avortements et des troubles neurodéveloppementaux chez 16 000 à 30 000 d’entre eux, d’après les estimations des autorités de santé. Et ce, alors que des rapports scientifiques alarmants auraient dû conduire le fabricant à en informer les médecins et les patients depuis de nombreuses années.
Mis en examen au pénal depuis 2020 pour tromperie aggravée, blessures et homicides involontaires, Sanofi fait également face à des actions au civil intentées par plusieurs familles à travers la France. L’Apesac avait choisi d’ouvrir un nouveau front, commun cette fois-ci, par cette action de groupe, la première en France dans le domaine de la santé.
Sanofi critique la validité du rapport d’expertise
« Une très grande victoire », se réjouit Marine Martin, fondatrice de l’Apesac et lanceuse d’alerte dans ce scandale sanitaire, « très fière du combat mené depuis dix ans » qui a abouti notamment à la mise en place de pictogrammes spécifiques sur les boîtes. « Le tribunal retient la faute, un manquement de Sanofi à ses obligations de vigilance et d’information et la commercialisation d’un produit défectueux, c’est essentiel », souligne l’avocat de l’association, Me Charles Joseph-Oudin.
Sanofi, qui va faire appel, a réagi dans un communiqué en critiquant notamment la validité du rapport d’expertise qui a servi de base à la décision du tribunal judiciaire — rapport initialement versé dans le cadre de l’instruction pénale et dont il a obtenu en décembre qu’il fasse l’objet d’une contre-expertise.
Le laboratoire assure également que « les documents d’information ont été modifiés conformément à l’évolution de l’état des connaissances et aux décisions des autorités de santé de l’époque ». Dans sa décision, le tribunal relève, lui, que les informations destinées tant aux patients qu’aux médecins, « n’ont pris en compte les données de la science que tardivement et de façon incomplète ».
Une victoire avant tout « symbolique »
Deux bémols, toutefois, faisant dire à Me Charles Joseph-Oudin que cette victoire est avant tout « symbolique ». Si le tribunal fixe entre 1984 et 2006 la période de temps durant laquelle le risque de malformations congénitales n’a pas suffisamment été pris en compte, il réduit cette période à 2001-2006 pour les troubles neurodéveloppementaux.
« Ce qui exclut de fait 50 % des 3 700 familles que nous suivons », déplore Marine Martin qui, avec son avocat, estime que les données scientifiques disponibles permettent de remonter à 1984, et même d’aller au-delà de 2006, date à laquelle la grossesse est apparue comme « déconseillée » sur la notice. Enfin, puisque l’appel de Sanofi — et possiblement celui de l’Apesac — va retarder de plusieurs années l’issue de la procédure. Et avec elle, l’indemnisation des familles.