France 3 Aquitaine
Le tribunal judiciaire de Paris a estimé ce 5 janvier que Sanofi avait manqué « à son obligation de vigilance et à son obligation d’information ». L’action de groupe est retenue. Une décision très attendue des familles victimes de la Dépakine dont la maman d’Esteban, qui vit à Misson dans les Landes avec son fils handicapé de 15 ans.
Quelques minutes après la décision de justice, Nathalie Orti dit son soulagement. Elle a été traitée à la Dépakine pendant 10 ans. Son fils de 15 ans est handicapé. C’est la suite d’un long combat aux côtés d’autres mères, pères et d’autres parents. « C’est un vrai soulagement pour toutes les familles de victimes, que l’action de groupe est recevable. L’action va pouvoir se poursuivre (…) C’est une étape de franchie, c’est une victoire !
« Le but de ce combat que nous menons notre famille et l’association, c’est pour que Sanofi soit reconnu responsable et qu’il puisse indemniser toutes les familles de victimes. Parce qu’aujourd’hui Sanofi est dans le déni de responsabilité et c’est l’Etat qui indemnise les familles à la place du laboratoire. Ça, c’est scandaleux, c’est tout à fait honteux !
Le combat de la maman d’Esteban
Nathalie vit avec son mari et son fils Esteban à Misson, dans les Landes. Le jeune homme a 15 ans et suit sa scolarité dans une classe adaptée ULIS ( Unités localisées pour l’inclusion scolaire), en 3ème, au collège de Pouillon.
Elle raconte son histoire et celle de son enfant. Elle est épileptique depuis toujours. Elle est suivie. Mais ce n’est qu’à l’âge de 30 ans qu’elle commence un traitement avec le médicament Dépakine, et ce, pendant 10 ans.
Elle le poursuit même durant sa grossesse, en 2005. Elle a alors 34 ans et est très suivie médicalement car c’est une grossesse médicalement assistée (PMA).
Elle pose d’ailleurs la question à son entourage médical, si la Dépakine est contre-indiquée. » On a dit aux médecins à chaque fois, les traitements que je prenais : le gynéco, le médecin traitant, les médecins qui s’occupaient de la PMA. Tout le monde savait que je prenais de la Dépakine et personne ne m’a informée des risques qu’il pouvait y avoir avec ce médicament, à part le Spina bifida pour lequel il fallait prendre une vitamine… »
Or si la grossesse et la naissance se passent bien, c’est ensuite que les deux parents s’interrogent : Esteban ne fait que très peu de mouvements. Dès l’âge de un an, un neurologue établit le diagnostic de « retard global de développement » et l’enfant est pris en charge vers ses deux ans. Il ne marchera que vers deux ans et commencera à parler à 4 ans seulement…
Encore une fois, elle demande à son médecin si le traitement à la Dépakine peut avoir eu une incidence sur les problèmes de développement d’Esteban. On lui répond qu’il s’agit de génétique et après avoir investigué en ce sens en vain, elle se résout à accepter.
Ce n’est qu’en 2015 qu’elle tombe sur un article exposant le parcours et troubles similaires à ce que vit Esteban. L’histoire est relayée par une association, celle de Marine Martin, l’ APESAC dont elle fait aujourd’hui partie.
C’est à cette date qu’ils décident d’entamer une procédure judiciaire, confortés par l’expertise médicale de l’enfant (qui a alors dix ans) qui confirme le lien entre la molécule et les malformations du fœtus entraînant ses problèmes de développement.
Aujourd’hui, Esteban souffre de troubles autistiques, de pertes de mémoire, de difficultés de compréhension et de malformations aux doigts qui l’empêchent de les contrôler.
Ce 5 janvier, c’est aussi une petite victoire pour lui, de pouvoir peut-être être enfin reconnu en tant que victime. Ecoutez le témoignage d’Esteban, après la décision du tribunal.
L’action de groupe « recevable » contre SANOFI
Le laboratoire a » commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d’information » concernant les risques de son médicament Dépakine pour le foetus en cas de prise pendant la grossesse.
Le tribunal a par ailleurs estimé « recevable » l’action de groupe présentée par l’association de victimes ( APESAC) de la Dépakine contre le laboratoire SANOFI. C’est une première judiciaire dans le domaine de la santé.
Dans son jugement, le tribunal fixe entre 1984 et 2006 la période de temps durant laquelle le risque de malformations congénitales n’a pas suffisamment été pris en compte. Pour les troubles neuro-développementaux, qui ont mis plus de temps à être reconnus, il réduit cette période à 2001-2006.
Compte tenu des informations scientifiques disponibles à l’époque, le tribunal estime que Sanofi » a produit et commercialisé un produit défectueux entre le 22 mai 1998 et janvier 2006 pour les malformations congénitales et entre 2001 et janvier 2006 pour les troubles neuro-développementaux ».
Il ordonne aussi qu’une large publicité soit faite à la possibilité ouverte aux patientes et à leurs enfants de participer à cette action de groupe. Les femmes concernées et leurs enfants nés entre 1984 et janvier 2006 pour les malformations congénitales et entre 2001 et janvier 2006 pour les troubles développementaux et cognitifs disposent de cinq ans pour le faire.
Une procédure pénale possible
La procédure, menée en parallèle d’une enquête pénale, est illustrée par quatorze cas de mères ayant reçu du valproate de sodium (principe actif de la Dépakine) lors de leur grossesse entre 1977 et 2015.
Lors de l’audience, le 22 septembre, Sanofi avait notamment plaidé l’irrecevabilité de l’action de groupe, estimant que les situations des demandeurs étaient trop différentes.
Puisque la tribunal estime recevable l’action collective, il devra alors trancher sur le fond, sur la responsabilité de Sanofi. Si cette responsabilité était reconnue, le juge définirait alors le groupe de victimes pouvant demander une indemnisation.
Cette molécule serait responsable de malformations chez 2.150 à 4.100 enfants
et de troubles neurodéveloppementaux chez 16.600 à 30.400 enfants, selon des estimations de l’Assurance maladie et de l’Agence du médicament (ANSM).
Sanofi a parallèlement été mis en examen en 2020 pour « homicides involontaires »
dans l’enquête pénale sur cette affaire.
Des familles se battent depuis 10 ans
7647 victimes, 164 avortements et 179 décès. C’est le décompte que l’association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome d’anti-convulsant (APESAC) impute au médicament Dépakine du laboratoire SANOFI.
Comme l’association l’explique, elle s’occupe « des intoxications du fœtus aux anticonvulsivants ou régulateurs de l’humeur, prescrits à la mère pendant la grossesse, pour épilepsie ou troubles bipolaires : tous ces anticonvulsivants (Dépakine, Dépakote, Dépamide, Keppra …), sans exception, sont tératogènes ».
Elle affirme que, » prescrits pendant la grossesse, ces antiépileptiques font courir au fœtus des risques très graves : atteintes neurologiques importantes, retards psychomoteurs sévères, autisme, malformations physiques ».
Ce qui révolte les parents de cette association, qui semblent avoir été entendus ce jour par le tribunal de Paris, c’est que « ces risques graves sont connus depuis près de cinquante ans dans la littérature scientifique ». Et c’est pour cela que Marine Martin, lanceuse d’alerte sur la Dépakine, crée l’APESAC en 2011 et » décide de se battre pour qu’un tel scandale sanitaire ne puisse plus jamais se reproduire ».
Source : France 3