Sciences et Avenir
Pour tester la toxicité de nouvelles molécules ou étudier des interactions cellulaires pathologiques, les organoïdes se multiplient et parfois s’assemblent.
Y a-t-il encore des organes qui n’ont pas été reproduits en boîte de Petri ? Cerveau, rein, poumon, coeur, muscle, peau, intestin, thyroïde, testicule, pancréas… Cette liste s’est encore allongée en mars dernier grâce aux tout premiers organoïdes de glandes lacrymales produits par une équipe de l’institut Hubrecht (Pays-Bas). Conçues pour mieux étudier les phénomènes de sécheresse oculaire, ces petites structures cellulaires en 3D ont même sécrété leurs propres larmes ! Preuve parlante de la fidélité de ces mini-modèles, et donc de leur pertinence pour analyser plus finement les interactions cellulaires à l’oeuvre dans les organes, et les maladies qui les touchent. Ou pour tester la toxicité de nouvelles molécules. C’est l’objet de Prévitox, un réseau Inserm lancé en 2019 et porté par l’institut NuMeCan (nutrition, métabolisme et cancer) que dirige Bruno Clément, directeur de recherche Inserm en biologie cellulaire à Rennes (Ille-et-Vilaine). Il regroupe près de 35 laboratoiresspécialisés dans l’ingénierie des cellules souches, le métabolisme de différents organes ou encore la « bio-impression », l’impression 3D de tissus à partir d’encre cellulaire. « L’objectif est de démontrer qu’on peut évaluer rapidement la toxicité de nouveaux médicaments ou la susceptibilité individuelle à des effets indésirables, explique Bruno Clément. Avec une capacité à répondre en situation de crise. » Un cas de figure auquel a pu s’exercer Prévitox avec la crise du Covid-19 puisque la toxicité des molécules testées dans l’essai clinique européen Discovery a fait l’objet d’une évaluation rapide par le réseau. L’autre atout des organoïdes, c’est de réduire les tests sur animaux, tout en disposant de modèles plus fidèles. À ceci près que ces mini-structures ne sont que des fragments miniatures d’organismes, non inclus dans un tout.
Il est désormais possible de combiner différents organoïdes, comme le coeur et les poumons ou le foie et le rein.
Bruno Clément, directeur de l’institut NuMeCan (Inserm), à Rennes
Du moins pour l’instant… « Grâce à des dispositifs de microfluidiques, il est désormais possible de combiner différents organoïdes, comme le coeur et les poumons ou le foie et le rein, précise le spécialiste. Cela pose de nouveaux défis à l’analyse des processus cellulaires. Mais permet aussi d’envisager à terme ce qu’on appelle le “body on a chip”, c’est-à-dire la reconstitution d’un organisme sur puce microfluidique. » On peut donc imaginer — aux frontières de la science-fiction — une sorte de « micro-monstre cellulaire » de Frankenstein, assemblage sur puce des systèmes urinaire, digestif, cardiovasculaire,pulmonaire, nerveux…Plus actuelle est la possibilité pour ces organes de laboratoire d’être individualisés, parce que fabriqués à partir des cellules de tel ou tel patient. « Les cellules tumorales, par exemple, sont assez simples à cultiver : nous obtenons des tumoroïdes personnalisées sur lesquelles nous pouvons pratiquer un screenning [une sélection] de molécules pour trouver la meilleure candidate, précise Bruno Clément. De la même façon, nous pouvons ainsi développer des organoïdes à partir de patients souffrant de maladies génétiques pour en étudier les déterminants cellulaires, métaboliques ou génétiques. » Par sa simplicité d’utilisation, l’outil CRISPR — les « ciseaux » de la génétique — permet désormais de tester des corrections de gènes sur des modèles pathologiques issus des patients eux-mêmes.
Les effets de la Dépakine sur des cérébroïdes
En 2022, le réseau Prévitox est censé entrer dans sa phase opérationnelle et devrait pouvoir évaluer la toxicité de molécules jamais testées avant. C’est l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui sera seule donneuse d’ordre, excluant les sollicitations indépendantes des laboratoires pharmaceutiques. Lors de la phase pilote, le réseau a pu tester la Dépakine de Sanofi sur des organoïdes cérébraux, un antiépileptique au centre d’un scandale sanitaire pour ses effets potentiellement délétères sur les foetus lorsqu’il est prescrit chez la femme enceinte. Pour Bertrand Pain, directeur de recherche à l’institut SBRI de Lyon (Rhône) dont l’équipe s’est chargée des tests, « vu les résultats, si nous avions eu des organoïdes pour tester la Dépakine à l’époque de sa mise sur le marché [dans les années 1970], la molécule n’aurait probablement jamais été prescrite chez les femmes enceintes ».
N°898 – Décembre 2021 Sciences et Avenir – La Recherche