Le Monde le 22 Octobre 2020
Outre les risques de malformations physiques, une nouvelle étude publiée jeudi montre que la Dépakine peut entraîner des troubles du développement des fœtus.
Autisme, retard de la marche, problèmes de langage… Les dangers pour le fœtus des médicaments à base de valproate de sodium (dont la Dépakine) sont connus depuis de nombreuses années, mais si les risques de malformations physiques sont relativement bien évalués, c’est moins le cas des troubles du développement qu’ils peuvent aussi entraîner.
Une étude française publiée jeudi 22 octobre montre que les enfants dont la mère a été traitée avec le médicament Dépakine pendant sa grossesse ont cinq fois plus de risques de troubles du développement dès leur petite enfance, un niveau beaucoup plus élevé qu’avec d’autres traitements de l’épilepsie.
Une équipe de chercheurs issus notamment de l’Assurance-maladie (CNAM) et l’Agence du médicament (ANSM) a analysé les données médicales de plus de 1,7 million d’enfants nés en France entre 2011 et 2014 – la plus grande cohorte étudiée sur ce sujet –, et les ont suivis jusqu’en 2016, pour voir s’ils présentaient de tels troubles. Cinquante enfants, sur les 991 dont la mère avait pris du valproate de sodium pendant la grossesse, se sont vu diagnostiquer des troubles neuro-développementaux, soit une proportion de 5 %, détaille l’article, publié dans la revue Scientific Reports. Or cette proportion n’est que de 0,89 % (15 270 enfants) chez ceux n’ayant pas été exposés in utero à un médicament antiépileptique.
Dans le détail, les enfants exposés au valproate de sodium pendant la grossesse ont 5,1 fois plus de probabilité de présenter un retard mental, 4,7 fois plus de troubles moteurs, de l’apprentissage ou du langage, et 4,6 fois plus de troubles du spectre de l’autisme.
La proportion d’enfants touchés reste sous-estimée, notamment parce que « le suivi limité dans l’étude (jusqu’à l’âge de 3,6 ans en moyenne, et jusqu’à 5 ans au maximum) a probablement conduit à identifier uniquement les cas les plus sévères qui donnent lieu à un diagnostic ou une prise en charge précoce dès les toutes premières années de la vie, alors que les cas moins sévères ne seront repérables qu’avec une durée de suivi plus longue », explique la coordinatrice de l’étude, Rosemary Dray-Spira.
« Etudes complémentaires »
L’article montre par ailleurs qu’il n’y a pas d’augmentation du risque chez les enfants exposés au valproate « uniquement pendant le premier trimestre » de grossesse, alors que « les études disponibles ne permettaient pas d’établir si le risque différait selon la période d’exposition », souligne la chercheuse. Il conclut également que « le risque est plus faible chez les enfants exposés à de plus faibles doses du médicament que chez ceux exposés à des doses plus élevées ».
Autre enseignement : « Le risque de troubles neuro-développementaux précoces associé aux autres antiépileptiques, notamment la lamotrigine, apparaît beaucoup moins marqué. Cependant, le risque (…) après une exposition in utero à la prégabaline », augmenté de 50 % selon l’étude, « nécessite d’être surveillé et doit faire l’objet d’études complémentaires », souligne l’épidémiologiste.
« Le niveau des connaissances » pour les autres traitements de l’épilepsie était jusqu’ici « hétérogène et généralement insuffisant pour permettre une conclusion définitive sur le risque de troubles neuro-développementaux », ajoute Rosemary Dray-Spira. Selon les recommandations de la Haute Autorité de santé, les alternatives au valproate dans l’épilepsie sont la lamotrigine (à privilégier) puis le lévétiracétam et l’oxcarbazépine.
Le laboratoire français Sanofi, fabricant de la Dépakine, est accusé par des familles de victimes d’avoir trop tardé à informer des risques à prendre ce médicament pendant la grossesse, connus depuis les années 1980. Le groupe pharmaceutique a été mis en examen cette année pour « homicides involontaires », « tromperie aggravée » et « blessures involontaires ».
Les conditions de prescription de la Dépakine pour les femmes en âge de procréer ont été progressivement restreintes à partir de 2015 et elle ne doit aujourd’hui être délivrée aux femmes en âge de procréer et aux patientes épileptiques enceintes qu’en l’absence d’alternative thérapeutique (inefficacité ou mauvaise tolérance des autres traitements).
Source Le Monde avec AFP