SCIENCES ET AVENIR
Une boîte de l’anti-épileptique Dépakine utilisée par des parents de victimes, le 13 décembre 2016 à Paris-AFP/Archives/Agnès COUDURIER-CURVEUR
L’association de défense des victimes de la Dépakine et le laboratoire Sanofi ont aiguisé leurs arguments mercredi au tribunal de Paris, première étape de l’action de groupe visant le géant pharmaceutique à propos de son antiépileptique.
La procédure, la première dans la santé, a été lancée en mai à l’initiative de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Apesac), qui représente 4.000 personnes, pour moitié des enfants malades. Cette action, menée en parallèle à une enquête pénale à Paris, s’appuie sur quatorze cas de mères ayant reçu de la Dépakine lors de leur grossesse entre 1977 et 2015.
Son but: faire reconnaître la responsabilité civile du groupe pharmaceutique français dans les malformations ou troubles de développement survenus chez des enfants dont les mères avaient reçu de la Dépakine, un traitement anti-épileptique à base d’acide valproïque considéré comme incontournable pour certains malades.
L’action de groupe, qui s’annonce longue, est entrée dans le vif des débats lors d’une audience intermédiaire au tribunal de grande instance de Paris.
Comme elle l’avait déjà annoncé, l’Apesac, représentée par l’avocat Charles Joseph-Oudin, a demandé au tribunal d’ordonner la consignation par le groupe de 400 millions d’euros dans l’éventualité où il serait condamné à verser des indemnisations au terme d’un futur procès. Elle réclame aussi à Sanofi des documents qui permettraient à ses yeux de prouver que les laboratoires avaient connaissance des risques depuis plusieurs décennies.
« La question qui se pose est de savoir depuis quand un signal existait sur la toxicité pour le fœtus, depuis quand le laboratoire le savait et quelle a été sa réaction », a plaidé l’avocat de l’Apesac.
Selon l’Apesac, des malformations physiques et des troubles neurodéveloppementaux étaient décrits depuis 1970, mais ces informations n’ont été portées à la connaissance des femmes qu’en mai 2015, sous son l’effet des médias.
En face, le laboratoire plaide l’irrecevabilité de l’action de groupe en raison de la « complexité du dossier ». « On essaie de vous faire croire qu’il n’y a qu’un seul responsable, Sanofi », a justifié son avocat Armand Aviges.
Le groupe soutient avoir toujours respecté ses obligations d’information et avoir averti les autorités de santé dès le début des années 1980 sur les risques de malformation du fœtus, et dès 2003 sur les risques neurodéveloppementaux, mais sans réaction immédiate des autorités.
Mercredi, Sanofi a écarté les demandes de l’Apesac en raison de « contestations sérieuses » sur sa responsabilité. « Aucun rapport d’expertise, ni le rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), n’a fait état d’une faute ou d’un manquement de Sanofi », a argumenté le conseil du laboratoire. Autre écueil juridique, selon lui: des cas sont frappés de prescription pour certains car remontant à plus de 30 ans.
Le juge de la mise en état, chargé de trancher certaines questions avant que l’affaire ne soit jugée, rendra une décision sur les demandes de l’Apesac le 29 novembre.
La Dépakine et ses dérivés ont provoqué depuis 1967 des malformations congénitales graves chez 2.150 à 4.100 enfants, selon une évaluation de l’Agence du médicament (ANSM) et de l’Assurance maladie, publiée en avril. L’épidémiologiste Catherine Hill avance le chiffre de 14.000 victimes, en prenant en compte les enfants souffrant de retards de développement, comme l’autisme.
L’Igas avait pointé en février 2016 la « faible réactivité » de Sanofi et de l’ANSM, estimant qu’ils n’avaient pas suffisamment informé des risques connus pour les patientes enceintes.
Source : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/depakine-premiere-passe-d-armes-au-tribunal-entre-l-association-de-victimes-et-sanofi_117502