L’express
D’après une nouvelle estimation de l’Apesac, la Dépakine a fait au moins 14 000 victimes. Marine est l’une d’elle. Traitée toute sa vie avec ce médicament, elle a donné naissance à deux enfants atteints de handicap. Elle raconte.
Les médecins ont découvert mon épilepsie en 1978, lorsque j’avais six ans. On m’a immédiatement prescrit un traitement par Dépakine contre la maladie. Je l’ai poursuivi tout au long de ma vie, sans jamais avoir de problème en lien avec le médicament. J’étais suivi par un neurologue et un médecin généraliste à qui j’ai confié plus tard ma volonté de fonder une famille.
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‘ai évidemment demandé à mes médecins s’il y avait des contre-indications médicales pour la grossesse, mais ils m’ont assuré qu’à l’exception du risque de spina bifida -que je devais contrer avec de l’acide folique- il n’y avait pas de risques spécifiques. J’ai donc suivi leurs conseils. En 1999, une jolie petite fille prénommée Salomé est née.
« Votre fils a un trouble du langage et du comportement »
Salomé avait les yeux un peu bridée. Elle avait un type asiatique, ce qui m’a beaucoup surprise, car nous n’avons pas de telles origines dans la famille. Voulant avoir trois enfants, j’ai tout naturellement poursuivi avec une nouvelle grossesse deux ans plus tard. Mon fils Nathan a vu le jour en 2002.
Nathan est né avec une malformation de la verge. A cette époque, j’avais lu dans la presse que les fils d’agriculteurs naissaient souvent avec des malformations urogénitales dues à l’exposition à certains pesticides. Je pensais qu’il s’agissait de cela, sans pour autant avoir consommé de tels produits.
Sauf que les soucis se sont enchaînés: à l’âge de tenir assis, Nathan n’y arrivait pas; à l’âge de marcher, il ne marchait pas; à l’âge de parler, il ne parlait pas. Je me suis interrogée et, rapidement, j’ai consulté des médecins pour que mon enfant soit pris en charge. On m’a dit: « Non, ce n’est pas un retard, votre fils a un trouble du comportement et un trouble du langage. Il va falloir une rééducation. »
Mon fils a été pris en charge à raison de trois séances de rééducation par semaine, en plus de la mise en place d’une aide de vie scolaire (AVS) pour l’école. Il n’était pas propre, car il n’avait pas la maîtrise des sphincters -symptôme lié à sa pathologie- lorsqu’il est entré en maternelle. J’ai finalement arrêté de travailler, car tout l’argent que je gagnais passait dans le salaire de l’aide à domicile de Nathan. Tout était très compliqué.
Le 2e médicament le plus dangereux pour la grossesse
Je voulais savoir de quoi il était atteint exactement, car si cela était génétique, il pouvait y avoir également un risque pour le troisième enfant que j’envisageais d’avoir. Cette question me hantait. Quel risque y avait-il à concevoir à nouveau?
En 2009, je me demandais toujours quelle était la cause de ces troubles. Sur Internet, j’ai lancé une recherche sur les médicaments dangereux pendant la grossesse. Je suis tombée sur le site du centre de recherche des agents tératogènes (CRAT) qui disait que le médicament le plus dangereux pour la grossesse était le Roaccutane(un anti-acnéique), suivi de la Dépakine.
Mon monde s’est écroulé. En voyant toutes les conséquences qu’avait entraînées la prise de Dépakine, je me suis effondrée. Pour la première fois, tous les symptômes collaient avec mon fils. Ma fille, elle aussi, était atteinte, bien que dans une moindre mesure.
Le secret avait été bien gardé
A force d’investigation, j’ai constaté que les sources à ce sujet étaient nombreuses. Toutes disaient la même chose: les malformations étaient répertoriées depuis les années 1980, les troubles autistiques depuis les années 1990. Pourquoi m’a-t-on menti à ce sujet? Mes médecins n’étaient-ils pas au courant? Je pensais à tous ces enfants qui naissaient tous les jours de mères traitées par Dépakine. Il fallait que je fasse quelque chose.
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J’ai obtenu le diagnostic de Nathan deux ans plus tard, en 2011. Dans la foulée, j’ai créé l’association d’Aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsant (APESAC) afin d’informer les familles et les personnes en âge de procréer, puisque aucune notice n’évoquaient ces risques.
Je pense que mon médecin n’était pas au courant de l’ampleur du phénomène. Telle une secte, le secret avait été bien gardé: le laboratoire et les instances de santé connaissaient la toxicité de la Dépakine, mais les grands neurologues omettaient de parler de ce risque lors des colloques à destinations de leurs collègues. Même les associations d’épileptiques faisaient éditer leur documentation par le laboratoire Sanofi… Il fallait donc agir.
Désormais, les patientes connaissent le risque
Pour m’aider, j’ai contacté l’avocat Charles Joseph-Oudin qui a fait tomber le laboratoire Servier, dans le cadre du scandale du Mediator. Commença alors une bataille juridique contre Sanofi, le laboratoire qui commercialise la Dépakine. Je souhaitais obtenir réparation pour mes enfants, ainsi qu’une aide financière nécessaire pour l’AVS et le suivi scolaire, car seul un bon accompagnement peut permettre à ces enfants de rester dans le système scolaire.
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Avec l’aide de mes homologues anglais, nous avons obtenu la réévaluation du bénéfice risque du médicament au niveau européen en 2013. Avec un groupe de patients, nous avons participé au choix des nouvelles conditions de prescription de la Dépakine. Nous avons créé un document similaire à celui du Roaccutane qui précise les risques, de 30 à 40%, d’avoir un enfant handicapé si la conception a lieu pendant la prise du médicament. Nous n’avons jamais demandé le retrait de la Dépakine, mais voulons qu’il ne soit prescrit que si les patientes sont pharmaco-résistantes aux autres traitements.
De mon côté, j’ai également décidé de changer de traitement, mais j’ai choisi de ne pas avoir d’autres enfants, car tous les médicaments pour l’épilepsie sont susceptibles de provoquer des malformations chez l’enfant à naître.
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Source : L’express