L’Aisne Nouvelle
Il y a trois ans, une jeune mère du Chaunois découvre que son enfant est atteint de troubles du comportement. En cause, la Dépakine, un médicament contenant du valproate de sodium.
« J’étais sous antiépileptique durant ma grossesse. Aujourd’hui, mon garçon a cinq ans. Il y a trois ans, on a découvert qu’il était atteint de troubles… » Marie(*) a encore du mal à évoquer son parcours. De la naissance de son fils, Jérémie(*), à la reconnaissance des conséquences de la prise de la Dépakine, un antiépileptique, durant sa grossesse.
Car tout est venu de là. « J’ai fait deux crises d’épilepsie durant mon adolescence. » Lorsque la jeune femme, habitante du Chaunois, tombe enceinte, les examens révèlent la possibilité de nouvelles crises. Un spécialiste la place donc sous traitement avec prise de Dépakine. « À aucun moment on ne m’a avertie des risques. » À l’époque, les restrictions à la prescription n’avaient pas été mises en place ; elles ne le seront qu’en décembre dernier.
Presque du jour au lendemain, à l’âge de 2 ans, Jérémie commence à présenter les premiers symptômes de troubles du comportement. « Il ne voulait plus nous regarder, il ne faisait plus aucun son, il refusait tout câlin… Les relations sont encore assez difficiles aujourd’hui. » Des symptômes proches de l’autisme.
La jeune femme commence donc à rechercher sur Internet des explications. « Je suis tombée sur le forum d’une association. » Elle contacte ainsi pour la première fois l’Apesac (Aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant), créée en 2011 par deux mères de famille.
« J’ai téléphoné à la déléguée nord-est de l’association, poursuit Marie. Elle m’a orientée vers le Camps à Laon. » Le Centre d’action médico-sociale précoce pratique alors une batterie de tests, qui excluent toutes les raisons aux troubles autres que la Dékapine.
Un diagnostic parfois tardif
Depuis, Jérémie est suivi par une psychomotricienne et un psychologue une fois par semaine. Il a également vu une éducatrice pendant plusieurs mois. « Sans compter tous les scanners pour vérifier qu’il n’était pas autiste. » À l’école, il est accompagné d’une auxiliaire de vie scolaire « à temps plein ».
Son enfant sera toujours suivi. Et Marie ne décolère pas contre les autorités sanitaires et son médecin, regrettant une reconnaissance tardive des risques liés à la prise de valproate de sodium, molécule présente dans la Dépakine, durant la grossesse.
« C’est dans cette démarche-là que je témoigne, prévenir. » C’est aussi la raison d’être de l’Apesac, outre soutenir et informer les familles. Marine Martin, sa présidente, s’est battue durant trois ans pour que le rapport bénéfice/risque du médicament soit réévalué.
Son histoire est assez proche de celle de Marie. En 2011, son premier enfant (né en 2002) est diagnostiqué. « Souvent, les troubles cognitifs sont vus tardivement et du coup, un deuxième enfant était [déjà] en route. » Marine Martin fait alors des recherches et découvre des écrits sur la Dépakine, tels que ceux du docteur Élisabeth Éléfant de l’hôpital Armand-Trousseau de Paris. Et qui alertait déjà sur les risques.
Via un avocat, elle rencontre une autre mère de famille, qui mène le même combat. « On est partis à 3, avec mon mari. » Aujourd’hui, l’association regroupe environ 200 familles.
Finalement, elle obtient gain de cause en novembre 2014, quand l’Agence européenne du médicament décide d’apporter des restrictions à la prescription de la Dékapine. Sa « traduction » en droit français est en cours (lire encadré).
Parallèlement, des actions en justice se préparent. Marine Martin s’est, elle, déjà lancée dans la bataille contre le laboratoire Sanofi-Aventis qui fabrique l’antiépileptique en cause. Estimant que celui-ci avait connaissance des effets secondaires mais qu’il n’en a pas tenu compte. Des experts judiciaires ont été nommés par le juge. Aujourd’hui, elle attend leurs conclusions.
(*) Prénoms d’emprunt
Des années 60 à 2014, le long processus de réévaluation
« La réévaluation du bénéfice/risque est la conclusion d’un processus », rappelle l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Car le « risque tératogène est connu depuis très longtemps », depuis les années 60… Sauf qu’au départ il s’agissait avant tout de « suspicion ».
Le risque malformatif lié au valproate, lui, avait été « identifié ». Provoquant notamment des problèmes de mobilité. Les conséquences neurologiques seront décelées plus tard. « L’information a été renforcée et précisée au fur et à mesure qu’elle a été acquise par les scientifiques », explique l’ANSM. Notamment auprès des professionnels de santé.
Même, en 2006, « la France a acté la modification du résumé des caractéristiques du produit », qui est traduit ensuite en notice, afin de mentionner ce risque. « Mais il n’a pas été chiffré avant que les connaissances scientifiques permettent de le faire. »
L’affaire de la Dépakine prend un tournant en 2013, quand le Royaume-Uni demande à l’Agence européenne du médicament une réévaluation du bénéfice/risque. L’ANSM contacte, de son côté, l’Apesac « pour que son avis soit pris en compte ».
Les différents témoignages, ajoutés aux données recueillies, seront décisifs. Et décideront l’Europe à restreindre les conditions de prescription de la Dépakine. Notamment parce que « les enfants exposés in utero au valproate présentent un risque élevé de troubles graves du développement (jusqu’à 30 à 40 % des cas) et/ou de malformations congénitales (environ 10 % des cas) ». Désormais, le médicament ne pourra être prescrit à des « filles, adolescentes, femmes en âge de procréer ou femmes enceintes » que si aucune autre molécule ne peut l’être.
Dans la foulée, en décembre 2014, l’ANSM envoie une lettre à tous les professionnels de santé pour les informer du nouveau « cadre de délivrance » de la Dépakine. Reste que le recours au médicament ne peut être abandonné : «L’épilepsie, il faut forcément la traiter », insiste l’Agence française, en raison de son « enjeu vital ». Les médecins qui seront amenés à prescrire la molécule doivent, par ailleurs, être « spécialistes » de l’épilepsie. Et devront «surveiller régulièrement » la patiente.
Actuellement, la France doit traduire ces recommandations européennes. Des représentants de l’Apesac ont été reçus par le ministère de la Santé. « Tous les médecins n’ont pas les mêmes critères », explique Marine Martin. Elle souhaite donc la mise en place d’éléments communs pour la « pose du diagnostic ».
Source :http://www.aisnenouvelle.fr/archive/recup:%2Fregion%2Fchaunois-le-combat-d-une-mere-de-famille-contre-un-ia16b110n199281