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Nora Collet, dont le fils de 5 ans et demi souffre de troubles du développement neuromoteur, a reçu francetv info chez elle.
Nora Collet, son fils, Louis, et sa fille, Hannah, dans leur maison à Troissereux (Oise), le 16 septembre 2015. (CATHERINE FOURNIER / FRANCETV INFO)
Il pleut sur Troissereux (Oise), ce mercredi après-midi. Derrière les essuie-glaces, les maisons aux briques rouges redonnent un peu de couleur au ciel chagrin. Louis, 5 ans et demi, joue dans sa chambre lorsque la sonnerie retentit. Il apparaît dans l’escalier de sa jolie maison bourgeoise, pour venir dire bonjour. Il sait qu’une journaliste doit venir pour parler de ses « difficultés ». « Bonjour Louis ! Quel âge as-tu Louis ? » Le petit garçon, aux yeux souriants, articule quelques mots. Il faut deviner pour comprendre.
Louis est un « enfant Dépakine ». Sa maman, Nora Collet, a pris cet antiépileptique du laboratoire Sanofi pendant toute sa grossesse. Son fils souffre depuis la naissance de troubles du développement neuromoteur, avec une tendance autistique. Les effets tératogènes (qui provoquent des malformations chez le fœtus) de la Dépakine sont mentionnés dans la littérature scientifique depuis 1982. Mais il a fallu attendre mai 2015, en France, pour qu’ils soient officiellement portés à la connaissance des patientes. Trois d’entre elles ont décidé de porter plainte et 200 autres, dont la mère de Louis, sont en train de constituer un dossier judiciaire. Le parquet de Paris a ouvert une enquête, à la fin septembre, pour « blessures involontaires et tromperie aggravée ».
Orthophonie et orthodontie
Dans le grand salon au charme anglais, les meubles restaurés et patinés par Nora, ex-assistante architecte qui a lancé son entreprise de décoration à domicile il y a deux ans, réchauffent l’atmosphère fraîche de ce mois de septembre. Le papa, un banquier âgé de 50 ans, est au travail. Louis a repris l’école depuis quinze jours, en grande section. Malgré ses difficultés d’élocution – « il souffre de prognathie, la mâchoire inférieure avancée, typique des ‘enfants Dépakine' », explique sa maman –, il suit une scolarité normale, sans aide de vie scolaire. « Avec de l’orthophonie cette année et de l’orthodontie l’année prochaine, il devrait pouvoir rattraper son retard en CP », espère Nora, qui peine à comprendre Louis lorsqu’il essaie de lui raconter sa journée.
Cette mère de 39 ans s’inquiète aussi pour l’apprentissage de l’écriture. Sans oublier que d’autres pathologies pourraient se révéler plus tard, comme « une malformation cardiaque ». Le petit garçon, qui joue sur la table basse, a fait du chemin depuis sa naissance, le 9 février 2010. Lui qui ne regardait pas ses parents dans les yeux plante ses deux billes dans les vôtres. Le bébé hypotonique, qui n’a marché qu’à 27 mois, bondit aujourd’hui dans la pièce et attrape les feuilles étalées sur la table par sa mère. Parmi ces documents, son bilan psychomoteur, établi au centre hospitalier de Beauvais, lorsqu’il avait 18 mois. Les spécialistes notaient alors un « léger retard des acquisitions ».
« Je clique et, là, boom ! »
« L’équipe médicale n’a jamais pu nous dire ce qu’il avait », reprend Nora, ses yeux bleus posés sur son fils. Ce n’est qu’au début de l’année 2015 que cette femme et son mari, également parents d’une petite fille de 11 mois, mettent un nom sur les soucis de Louis. « Je faisais une recherche sur l’épilepsie et la Dépakine et je suis tombée sur le site de l’Apesac (Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant). Je clique et puis, là, boom ! » raconte Nora, joignant le geste à la parole.
Devant l’écran, elle reconnaît plusieurs des symptômes décrits par l’association : les otites séreuses à répétition – Louis a dû être opéré et est appareillé –, la difficulté à marcher puis à parler, les troubles de l’attention, les comportements autistiques… En juin 2010, quatre mois après la naissance de Louis, la notice de la Dépakine mentionne pour la première fois que « la prise de ce médicament au cours de la grossesse est susceptible d’entraîner des malformations du fœtus […], des troubles du développement et des troubles autistiques chez l’enfant ». Mais l’information ne passe pas auprès des patientes. Nora se voit renouveler sa Dépakine par deux généralistes entre 2010 et 2014, sans qu’elle soit informée de ces risques, malgré son désir d’une deuxième grossesse.
De 30 à 40% de risques
Lorsque Nora fait enfin le lien entre la Dépakine et les troubles de son fils, face à son ordinateur, elle se refait le film : les cinq années d’attente avant de tomber enceinte de Louis – l’Apesac a identifié plusieurs cas d’infertilité chez les femmes sous Dépakine –, les trois rendez-vous avec le neurologue une fois la bonne nouvelle arrivée, la simple prescription d’acide folique, comme pour toutes les femmes enceintes, pour éviter le risque de spina bifida (malformation du tube neural).
Le Vidal, la bible des professionnels de santé français, déconseille pourtant depuis 2006 le recours à cet antiépileptique pendant la grossesse. Diverses études scientifiques, dont les conclusions sont reprises par l’Agence européenne du médicament en novembre 2014, évaluent à 11% le risque de malformations (dont le spina bifida) et à 30 à 40% le risque de troubles du comportement liés à la prise de Dépakine. Selon Le Figaro, Sanofi enregistrait, dès 2001, 56 cas de troubles comportementaux chez des enfants exposés in utero.
Dans le canapé, Louis s’agite pendant que nous parlons de son « cas ». Il s’impatiente, fatigué par sa matinée d’école. Comportement classique d’un enfant de son âge. Mais sa mère ne sait plus faire la part des choses. « A force, on est enfermé dans les symptômes, on a du mal à regarder son enfant comme un enfant normal », souffle-t-elle.
Une épée de Damoclès au-dessus de son second enfant
C’est avec ce même regard inquiet que Nora observe les progrès de sa fille, Hannah, qui fait la sieste à l’étage. Lorsqu’elle se sait enceinte, elle consulte son nouveau neurologue, qui l’alerte au sujet de la Dépakine. « Il y a quatre ans, votre confrère m’a dit qu’il n’y avait pas de soucis, pourquoi ? » l’interroge-t-elle. Gêné, le médecin change de sujet. Nora prend sa décision : elle arrête tout traitement antiépileptique à quatre mois de grossesse. « Je n’avais pas eu de crises depuis des années. » Elles ont repris après l’accouchement et Nora, faute de supporter un autre traitement, a dû reprendre la Dépakine, avec le sentiment « ambigu » d’ingurgiter le médicament qui a « empoisonné » son fils. Dans le cadre de la procédure judiciaire, elle envisage de porter plainte contre son premier neurologue.
Hannah apparaît dans les bras de sa mère. C’est un bébé aux joues rondes et au regard éveillé. Louis, grand frère câlin et enthousiaste, se précipite. « Je vois déjà la différence, compare Nora en calmant gentiment les ardeurs de l’aîné. Hannah se retourne par terre, interagit, babille, attrape et joue. Elle commence à faire du quatre pattes. » Malgré tout, Nora guette, « une épée de Damoclès au-dessus de la tête ». Le 28 octobre, la famille fêtera l’anniversaire d’Hannah à Paris, où Louis a rendez-vous avec un généticien recommandé par l’Apesac. « Il va poser un diagnostic. Même s’il ne nomme pas le syndrome Valproate (la molécule de la Dépakine), il exclura toutes les causes génétiques des troubles de Louis », explique Nora en préparant le goûter dans la cuisine. Une étape importante pour la suite judiciaire du dossier.
Du Mediator à la Dépakine
Comme toutes les autres familles engagées dans une procédure contre Sanofi et les autorités sanitaires françaises, les parents de Louis sont représentés par l’avocat Charles-Joseph Oudin, qui s’est illustré dans l’affaire du Mediator. « Ça va être long, très long », souffle Nora entre deux cuillères de compote. Mais cette mère courage se sent prête. « Je ne vois pas pourquoi ce serait les allocations qui prendraient en charge le handicap de nos enfants et pas Sanofi. Et puis, il faut que ça s’arrête ! Il y a encore des femmes enceintes sous Dépakine qui n’ont pas été prévenues », s’alarme-t-elle, après avoir consulté plusieurs forums.
Preuve du scepticisme persistant qui règne au sein du corps médical sur les effets de la Dépakine, l’attitude de la pédiatre de Louis et d’Hannah, qui a négligemment glissé dans le carnet de santé le dépliant de l’Apesac, que Nora lui avait apporté. Ou encore celle de son neurologue, qui ne lui a toujours pas fait remplir le formulaire de décharge, obligatoire depuis mai 2015 pour toutes les femmes sous Dépakine et en âge de procréer.
« Comme des cousins germains »
L’Apesac tenait son assemblée générale en juin à Blangy-le-Château (Calvados). Nora a fait le déplacement avec son mari et Louis. Elle y a rencontré d’autres familles, qui ont toutes « la même histoire ». « Les ressemblances entre les enfants étaient frappantes, ils avaient le même faciès, un peu comme des cousins germains, se souvient Nora, alors que le jour décline déjà dans la maison. Certains présentaient un autisme très avancé, avec des membres recroquevillés et portaient encore des couches à 12 ans. J’ai mesuré la gravité de la situation. » C’est là que Nora a décidé de se porter déléguée régionale de l’Apesac pour la Picardie.
Elle attend maintenant avec impatience le rendez-vous du 28 octobre avec le généticien. « Je vais avoir une réponse. » La famille en profitera peut-être pour se promener à Paris et montrer la tour Eiffel à Louis.