Le Figaro – Par Anne Jouan
INFO LE FIGARO – Connus dès 1982, les risques liés au médicament n’ont été réellement communiqués aux mères qu’en 2015.
Selon nos informations, pas moins de 425 naissances entre 2006 et 2014 avec des malformations liées au valproate, un anti-épileptique commercialisé sous le nom de Dépakine, auraient pu être évitées en France. Ce chiffre est extrapolé à partir du Registre des malformations en région Rhône-Alpes (Remera). Qu’on ait examiné ces années-là n’est pas le fait du hasard: ce n’est qu’en 2006 en effet que le Vidal – dont les informations sont fournies par les industriels – indique: «Si une grossesse est envisagée, toutes les mesures seront mises en œuvre pour envisager le recours à d’autres thérapeutiques.» Avant cette date pour ce guide très consulté par le corps médical, «il ne semble pas légitime de déconseiller une conception». Toujours est-il qu’à partir de 2006 au moins, l’information aurait dû être donnée aux femmes en âge de procréer. Et ce n’est qu’en 2015 que cette information cruciale a été portée à leur connaissance.
Pour les associations, le combat ne fait que commencer
Le valproate, cet antiépileptique commercialisé en France par Sanofi depuis 1967 (puis par les génériqueurs Zentiva, Biogaran, Aguettant, Teva, Sandoz, Arrow, Mylan et EG Labo) est responsable de malformations physiques parfois gravissimes et de troubles du comportement chez les enfants dont la mère a pris le médicament pendant la grossesse. La première indication d’un effet tératogène chez l’homme est détaillée dans une étude du très sérieux Lancet dès 1982. Cette dernière montre que les enfants de femmes traitées au premier trimestre de la gestation présentent un risque de spina bifida (malformation de la colonne vertébrale) multiplié par 30.
En début de semaine, les médecins ont reçu un dépliant de l’Agence du médicament (ANSM) intitulé «Brochure d’information à l’attention de la patiente et/ou de son représentant». Il y est clairement fait mention cette fois «d’un risque élevé de troubles graves du comportement (jusqu’à 30 % à 40 % des cas) et/ou de malformations». Compte tenu du temps qu’il a fallu pour que ces informations, disponibles dans la littérature scientifique depuis 1982, arrivent jusqu’aux patientes en 2015, on peut se poser cette question: combien d’enfants nés avec de telles malformations auraient pu être épargnés?
À l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant de ce que l’on appelle le «syndrome valproate» (Apesac) et qui organise ce week-end son congrès annuel à Blangy-le-Château (Calvados), on estime qu’à chaque femme sous traitement, on aurait dû prescrire un autre anti-convulsivant dès l’annonce de la gestation. «Pas une d’entre elles n’a eu connaissance de ces risques», assure Marine Martin, la présidente. L’information n’a été donnée par personne. Ni par les autorités sanitaires, ni par Sanofi, ni par les médecins. C’est ce que nous expliquait sous couvert d’anonymat un couple au Figaro , père et mère de jumeaux nés par fécondation in vitro en novembre 2008. Une semaine après la naissance, les parents découvraient que leur fils avait deux pouces à la main droite.
Le Figaro a pu consulter les données de l’ANSM. Entre 1986 et 2015, on recense en France 54 cas de fœtus ou d’enfants morts à cause du valproate. Certains sont décédés à un stade très avancé de la grossesse ou après la naissance. Après examen des 765 pages des données de pharmacovigilance (la surveillance des médicaments) de l’ANSM, il ressort que 377 enfants ont été déclarés souffrant de malformations. Un décompte bien inférieur à l’estimation issue du registre de la région Rhône-Alpes, car un grand nombre de cas n’ont jamais fait l’objet de déclaration. Charles Joseph-Oudin, l’avocat de l’Apesac, vient de demander à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, de confier une enquête à l’Inspection générale des affaires sociales.
«Il a fallu attendre que les patientes anglaises obtiennent de l’agence britannique la réévaluation du médicament pour qu’en France les femmes soient enfin informées cette année des risques tératogènes du valproate», regrette le député PS Gérard Bapt.