L’Obs
Dès les années 1980, les risques de malformations liés à ce traitement anti-épileptique sont connus. Il a pourtant été prescrit jusqu’en 2015 à des femmes enceintes.
Nez épaté, lèvre supérieure très fine : Nathan et Salomé, 13 et 16 ans, ont le faciès « Dépakine », du nom du médicament anti-épileptique que leur mère, Marine Martin, a pris pendant ses deux grossesses, comme des milliers d’autres femmes. A eux deux, ils incarnent le dernier scandale-pharmaceutique-qui-aurait-pu-être-évité. En mai, Marine Martin a frappé un grand coup en déposant une plainte contre X pour « administration de substance nuisible », « atteinte involontaire à l’intégrité de la personne », « tromperie aggravée », « mise en danger d’autrui » et « non-signalement d’effets indésirables ».
La procédure vise Sanofi, le laboratoire qui commercialise la Dépakine, et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Marine Martin s’est offert les services d’un avocat à la hauteur de l’affaire : Charles-Joseph Oudin. Il n’est autre que le défenseur de victimes du Mediator, cet antidiabétique prescrit comme coupe-faim responsable d’au moins 1.300 morts. Depuis, trois autres plaintes ont été déposées. Bien d’autres pourraient suivre. Me Oudin explique :
200 dossiers sont à l’étude dans notre cabinet. Ce n’est même pas le haut de l’iceberg, des femmes ont été exposées à ce médicament jusqu’en 2015 « ,
Des risques documentés dès 1982
Dès 1982, la littérature scientifique pointe des risques de malformations in utero associés à la Dépakine. Nathan et Salomé n’ont pas échappé à l’une des plus répertoriées : le « spina bifida occulta », une fissure de la colonne vertébrale qui, par chance, a fini par se résorber. Nathan n’a pas parlé avant l’âge de 5 ans, a marché tard. Il souffre d’une malformation de la verge et aujourd’hui encore, a des troubles de l’attention.
« Ma fille s’en tire un peu mieux avec ‘seulement’ des difficultés à écrire », explique Marine Martin. Pendant plus de 30 ans, les charges n’ont cessé de s’alourdir contre le valproate de sodium, nom générique du traitement également prescrit contre les troubles bipolaires. En 2006, le couperet tombe : en plus du risque de malformations, les chercheurs affirment que la substance fait grimper de 30 à 40% le risque d’autisme, de retards mentaux, de troubles du langage… chez les enfants exposés dans le ventre de leur mère.
Aucune mise en garde
Malgré tous ces clignotants, aucun médecin n’a jamais mis en garde Marine Martin lors de ses grossesses. « Le neurologue qui me suivait m’a même dit : ‘vous ne risquez rien’. » A peine lui a-t-on conseillé de prendre de l’acide folique pour prévenir l’apparition de spina bifida, une précaution dérisoire qui s’est avérée totalement inefficace. Il a fallu attendre 2011 pour que le corps médical fasse enfin le lien entre le calvaire de ses enfants et les comprimés qu’elle avale non-stop depuis l’âge de 6 ans. Marine Martin sait déjà à cette époque qu’elle n’est pas seule : sur internet, les témoignages de mères d’enfants malformés affluent. Elle décide de fonder une association, l’Apesac, 300 membres à ce jour.
Ce n’est qu’en… mai 2015 que l’ANSM, dans le sillage de l’Agence européenne du médicament, qui a elle-même réévalué le valproate de sodium en 2013, se décide à renforcer drastiquement les conditions de prescription. L’ANSM les avait certes à plusieurs reprises durcies, notamment en 2006, mais cette fois-ci, elle écrit pour la première fois noir sur blanc que « ces spécialités ne doivent pas être prescrites chez les filles, les adolescentes, les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes, sauf en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux alternatives médicamenteuse. »
Sanofi rejette la responsabilité sur les médecins
« On ne pensait pas qu’après avoir voté une loi en 2011 sur la sécurité du médicament, on en serait encore là », se désole Gérard Bapt, député socialiste à la tête de la mission d’information parlementaire sur le Mediator et la pharmacovigilance.
Le laboratoire, lui rejette la responsabilité sur le corps médical. Pascal Michon, directeur médical de Sanofi en France, défend le labo :
La Dépakine traite une maladie grave et complexe. Nous avons toujours informé les professionnels de santé des bénéfices et des risques liés à ce médicament. Chaque prescription relève de la responsabilité du médecin, face à la situation spécifique du patient. »
Un patient qui aura désormais son mot à dire, insiste Marine Martin : « On ne veut pas faire interdire le médicament, mais il faut que les femmes qui n’ont pas d’autre choix que d’en prendre soient parfaitement au courant des risques encourus. »
Bérénice Rocfort-Giovanni
Source: http://tempsreel.nouvelobs.com/sante/20150701.OBS1845/le-scandale-des-enfants-depakine.html