Témoignage : L’ONIAM des indemnisations au rabais ?
La famille a souhaité témoigner sous couvert d’anonymat, les prénoms utilisés sont des prénoms d’emprunt.
Bonjour Marie, parlez-moi un peu de vous, depuis combien de temps êtes-vous soignée pour l’épilepsie ?
Dès l’âge de 12 ans j’ai été mise sous Dépakine pour traiter mon épilepsie ; mais depuis quelques années je suis passée au Lamictal.
Vous êtes la maman de Laura, pouvez-vous me dire comment s’est déroulée votre grossesse.
La grossesse s’est très bien passée. J’étais sous Dépakine – 1500mg par jour – et spéciafoldine. Bien évidemment les médecins ne m’ont pas averti des conséquences que ce traitement pouvait avoir sur mon enfant.
Quels sont les atteintes de Laura ?
Laura souffre de troubles visuels, un colobome rétinien réduit son champ de vision ; elle a eu de nombreux soucis au niveau ORL, une hyperlaxité des membres, une cyphose et une lordose ; certaines de ses dents de lait ne sont pas encore tombées. Elle a également des difficultés d’apprentissage, de compréhension, elle répond très souvent à côté lorsqu’on lui pose une question.
Comment cela se passe pour elle aujourd’hui ?
Laura va avoir 16 ans, ce qui m’inquiète le plus c’est sa naïveté et son excessive gentillesse, j’ai peur que cela lui joue des tours. Elle a aussi des difficultés à différencier fiction et réalité. Malgré cela elle est autonome et peut prendre le bus seule pour se rendre au collège. Au niveau scolaire cela va mieux, elle est en 3ème dans un collège classique et par chance l’équipe pédagogique est à l’écoute, un P.A.P (=Plan d’Accompagnement Personnalisé) a été mis en place et elle disposera d’aménagements particuliers pour le brevet le mois prochain. A la rentrée Laura va intégrer une école spécialisée dans le milieu équin pour se former au métier de monitrice d’équitation, sa plus grande passion !
Avez-vous entrepris une procédure juridique ? Si oui, laquelle ?
Oui, j’ai déposé un dossier au nom de ma fille et un dossier en mon nom auprès de l’ONIAM pour demander réparation. Je n’ai pas de protection juridique et les frais pour des procédures au civil, au pénal ou au tribunal administratif sont trop onéreuses c’est pourquoi j’ai choisi ce dispositif.
Avez-vous fait appel à un avocat pour vous aider dans vos démarches ?
Oui j’ai fait appel au cabinet Dante, c’est Me Paucod qui suit mon dossier. Leur aide a été précieuse surtout au début car on ne connait pas tous les termes juridiques, ils ont été très disponibles. Je me suis sentie épaulée, mon avocate s’est occupée de rédiger toutes les synthèses des rapports que je lui transmettais cela m’a permis de gagner un temps énorme surtout que j’étais seule dans cette démarche.
Combien de temps vous-a-t-il fallu pour constituer votre dossier ONIAM ?
J’ai mis au moins un an pour récupérer tous les dossiers médicaux nécessaires. Le cabinet Dante a présenté mon dossier devant l’ONIAM en novembre 2017 et j’ai eu la proposition d’indemnisation en avril 2019.
Dans le dossier de Laura qui a été déclaré responsable ?
Le laboratoire Sanofi à hauteur de 70% et l’État à hauteur de 30%.
Le collège d’experts a-t-il reconnu toutes les pathologies de votre fille comme imputables à la Dépakine ?
Non, malheureusement. La cyphose et la lordose, les problème ORL, les pieds plats, son anomalie dentaire – pourtant diagnostiqués par le Pr Edery – ont été écartés. Le collège a déclaré que l’état de Laura n’était pas encore consolidé, nous pourrons donc demander une réévaluation à ses 20 ans.
Vous m’avez dit avoir reçu la proposition d’indemnisation, êtes-vous satisfaite ?
(Marie a accepté de nous montrer les montants qui lui sont proposés)
- Voilà ce qui est proposé à Laura en tant que victime directe :
N.B : Indemnisation à hauteur d’un tiers = part de l’État reconnu responsable à 30%
A ce montant il faudra ajouter les 70% représentant la part de responsabilité du laboratoire Sanofi ainsi que le montant correspondant à la tierce personne en fonction du nombre d’heures déterminé par le collège d’experts.
- Voilà ce qui est proposé à Marie en tant que victime indirecte :
N.B : Indemnisation à hauteur d’un tiers = part de l’État reconnu responsable à 30%
A ce montant il faudra ajouter les 70% représentant la part de responsabilité du laboratoire Sanofi
Lorsque que j’ai lu ce rapport je me suis assise, je me suis dit qu’il y avait une erreur, tout ce temps de procédure pour ce montant ?! J’étais dépitée. J’ai contacté Marine Martin qui m’a expliqué qu’il ne s’agissait que de la part de l’Etat et qu’il faudrait ajouter la tierce personne pour Laura. Cela m’a un peu rassurée, mais je reste déçue. Au global je pense qu’il s’agira d’un dossier à 100 000€ en comptant ma part.
Quel est votre ressenti face à ce dispositif ? Que souhaiteriez-vous leur dire ?
Je ne suis pas satisfaite, on parle d’une enfant qui a toute la vie devant elle, je ne sais pas ce qu’il va se passer demain. On ne connait pas encore tous les effets secondaires, l’avenir des enfants Dépakine est incertain, pourra-t-elle être enceinte ? On n’en sait rien ! Ce n’est pas cette somme qui va lui permettre de vivre pleinement toute sa vie. L’argent servira en partie pour son école d’équitation.
J’aimerai dire à ces experts qu’ils n’ont tout simplement pas d’enfant victime de l’embryofoetopathie au valproate, qu’ils ne font que lire des dossiers. Ils ne connaissent pas nos enfants, ils ne peuvent pas imaginer leur quotidien, ni notre quotidien de parents épuisés.
Nos enfants seront handicapés à vie, c’est inadmissible ! On ne fait pas tout ça pour l’argent, on le fait pour leur assurer un avenir décent.
Pour conclure, que diriez-vous aux familles qui sont en pleine procédure avec l’ONAIM ou qui hésitent encore ?
Il faut se lancer ! Plus on est nombreux, plus l’information sera diffusée. Je suis favorable à 200%. Certes la procédure est longue et fastidieuse, mais il faut le faire pour nos enfants, pour les aider à se lancer dans la vie et pour que la responsabilité de Sanofi, de l’Etat ou des prescripteurs soit écrite noir sur blanc.
Marie termine notre conversation téléphonique en remerciant chaleureusement toute l’équipe de l’APESAC, Marine Martin, les déléguées, qui sont pour elle un réel soutien et sans qui tout ça n’aurait pas été possible.
Propos recueillis par Anaïs Montels
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