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Scandale de la Dépakine : reconnaissance de la défectuosité du médicament, affaire à suivre

Dalloz-actualité.fr

La première chambre civile se prononce sur la responsabilité de la société Sanofi pour les dommages causés par la Dépakine. Si elle retient la défectuosité du produit eu égard au défaut de présentation dans la notice du risque tératogène d’une particulière gravité, elle casse cependant la solution retenue par les juges du fond qui n’ont pas examiné la cause d’exonération soulevée par le laboratoire.

Civ. 1re, 27 nov. 2019, FS-P+B+I, n° 18-16.537

Après l’Isoméride, le Médiator ou encore le Levothyrox, la Dépakine, médicament contenant du valproate de sodium et commercialisé depuis 1967 par le laboratoire Sanofi afin de traiter notamment l’épilepsie, est à l’origine d’un nouveau scandale sanitaire. La Cour de cassation, par son arrêt du 27 novembre 2019, se prononce, pour la première fois, sur la responsabilité du laboratoire, cette décision intervenant près de trois ans après la première action de groupe en matière de santé introduite, le 13 décembre 2016, par l’association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant et seulement vingt jours après le vote par l’Assemblée nationale d’une modification du dispositif d’indemnisation des victimes de la Dépakine (ce dispositif d’indemnisation a été créé par la loi n° 2016-1917 du 29 déc. 2016, v. CSP, art. L. 1142-24-9 ; à ce sujet, v. égal. J.-M. Pontier, Dépakine : un nouveau fonds, AJDA 2016. 2065).

En l’espèce, une femme souffrant d’épilepsie depuis l’âge de 11 ans prenait comme traitement de la Dépakine chrono 500 mg. Alors qu’elle envisageait une grossesse, il lui a été conseillé de poursuivre ce traitement accompagné de la prise d’un autre médicament. Son enfant souffrait cependant à la naissance de malformations des membres supérieurs et d’une microphtalmie.

Désigné par ordonnance du juge des référés du 20 juillet 2010, un collège d’experts a rendu, le 20 mai 2011, un rapport établissant le lien entre la prise de Dépakine durant la grossesse et la malformation de l’enfant. La famille de l’enfant victime de malformations a alors assigné en responsabilité et indemnisation le laboratoire Sanofi, lequel a, en cause d’appel, assigné en intervention l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). La cour d’appel d’Orléans, par un arrêt du 20 novembre 2017, a retenu que l’action de la victime et de sa famille n’était pas prescrite dès lors que l’origine des malformations de l’enfant n’a pu être connue avant le rapport d’expertise du 22 mai 2011 et que le produit de santé est défectueux au sens des dispositions des anciens articles 1386-1 et suivants du code civil (devenus art. 1245 s. depuis l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations) en raison de l’absence d’information dans la notice patient des risques de malformation du fœtus induits par la prise de Dépakine durant la grossesse.

La société Sanofi a alors formé un pourvoi en cassation sur le fondement de huit moyens qui n’ont pas tous retenu l’attention de la Cour de cassation, certains des griefs n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation. La société Sanofi soulevait, d’une part, la prescription de l’action en responsabilité dans la mesure où les parents de l’enfant victime de malformations avaient eu connaissance du dommage dès la naissance de ce dernier, soit le 5 décembre 2002, trois médecins les ayant informés de la possibilité d’un lien entre ces malformations et la prise de Dépakine. Elle soutenait, d’autre part, que la présentation du produit était conforme à la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre dès lors que la notice du médicament enjoignait de consulter un médecin en cas de grossesse ou de projet de grossesse et indiquait la nécessité d’une surveillance particulière, que le résumé caractéristique du produit (RCP) mentionnait les risques tératogènes connus et que ces documents avaient été rédigés sous le contrôle de l’Autorité de santé. Elle ajoute que les juges du fond, pour apprécier la suffisance et le caractère adapté de l’information, auraient dû prendre en compte les circonstances particulières de prescription de ce médicament. La société Sanofi invitait, par ailleurs, la Cour de cassation à renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles quant à la détermination du point de départ du délai de prescription et quant aux modalités d’appréciation du défaut d’information portant sur les risques liés à la prescription du médicament. Enfin, il était encore reproché à la cour d’appel de ne pas avoir répondu aux arguments du laboratoire tendant à invoquer la cause d’exonération de responsabilité prévue par l’ancien article 1386-11, 5°, du code civil (devenu art. 1245-10 depuis l’ord. n° 2016-131, préc.).

Le pourvoi invitait ainsi la Cour de cassation à apporter notamment des précisions sur le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité du fait des produits défectueux et sur la caractérisation de cette défectuosité lorsque la présentation du produit de santé ne fait pas état des risques de son usage dans la notice destinée au patient, mais que ce dernier avait d’autres moyens d’en être informé.

La première chambre civile casse partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Orléans. Si elle rejette les arguments tenant à la prescription de l’action et à l’absence de caractérisation de la défectuosité du produit, elle retient cependant l’argument selon lequel les juges du fond ont manqué à leur obligation de motivation en ne se prononçant pas sur la cause d’exonération alléguée par la société Sanofi.

Le point de départ du délai de prescription

La Cour de cassation commence par rappeler tant la règle posée par l’article 1245-16 du code civil selon laquelle la prescription triennale court « à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur », que la définition de la défectuosité de l’article 1245-3 de ce même code pour en déduire que le point de départ du délai de prescription ne pouvait, en l’espèce, qu’être fixé à la date à laquelle les demandeurs « ont su ou auraient dû savoir qu’ils n’avaient pas bénéficié de l’information selon laquelle la Dépakine prescrite […] pouvait produite des effets tératogènes ». La solution est logique dès lors que ce point de départ doit être apprécié à la fois in concreto au regard de la connaissance effective de la victime, mais également in abstracto puisque la connaissance du défaut doit être évaluée eu égard à un « utilisateur moyen » et à la sécurité que celui-ci pouvait légitimement attendre du produit. En l’espèce, le moyen du laboratoire Sanofi avait donc peu de chance de prospérer. La Cour de cassation retient, in concreto, que les victimes ne connaissaient pas, avant les conclusions du rapport d’expertise, l’origine des dommages subis, lesquels auraient pu éventuellement avoir une cause génétique, et que, partant, elles ne pouvaient donc pas avoir connaissance du défaut du produit à la seule vue des malformations de l’enfant lors de sa naissance en 2002. La connaissance du dommage n’emporte pas celle du défaut. En outre, il peut être souligné que la défectuosité du produit ne pouvait, in abstracto, être connue de l’utilisateur moyen qui n’était pas en mesure d’avoir conscience, en 2002, des effets indésirables du produit puisque ceux-ci n’étaient alors pas mentionnés dans la notice du médicament.

La caractérisation du défaut

Le défaut de mention des effets secondaires indésirables et des risques au sein de la notice du médicament à destination du patient suffit à caractériser la défectuosité du produit, quand bien même les informations dont dispose le corps médical, via la notice qui leur est destinée ou le dictionnaire Vidal, en font état. Cette solution, rappelée en l’espèce par la Cour de cassation, n’est pas nouvelle (v. par not. Civ. 1re, 22 nov. 2007, n° 06-14.174, D. 2008. 17  ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain  ; RCA 2008, comm. n° 30, obs. Radé ; CCC 2008, comm. n° 64, obs. Leveneur ; RDC 2008. 306, obs. Borghetti ; JCP 2008. I. 125, obs. Stoffel-Munck ; 9 juill. 2009, n° 08-11.073, Dalloz actualité, 22 juill. 2009, obs. I. Gallmeister ; D. 2009. 1968, obs. I. Gallmeister  ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout  ; Constitutions 2010. 135, obs. X. Bioy  ; RTD civ. 2009. 723, obs. P. Jourdain  ; ibid. 735, obs. P. Jourdain  ; RTD com. 2010. 414, obs. B. Bouloc  ; JCP 2009. 308, note Sargos ; RCA 2009. ét. 13, note Radé ; RDC 2010. 79, note Borghetti). Le demandeur au pourvoi soulevait cependant un autre argument : le défaut de présentation du produit doit être apprécié au regard des circonstances particulières de l’espèce, la Dépakine étant un médicament qui ne peut être obtenu que sur ordonnance et est destiné à des patients faisant l’objet d’un suivi médical renforcé et régulier pour lesquels le risque d’interruption brutale du traitement s’opposait à ce que l’absence de précision de la notice puisse caractériser un défaut. La Cour de cassation n’est pas sensible au raisonnement et refuse que le producteur puisse se libérer de son obligation d’information en enjoignant simplement au patient de prévenir son médecin, lequel serait seul tenu in fine de renseigner sur les risques et effets indésirables du produit (il peut d’ailleurs être noté que, depuis mai 2015, la Dépakine ne peut plus être prescrite que par des spécialistes en neurologie, psychiatrie ou pédiatrie et requiert le recueil d’un accord de soins après information complète de la patiente en âge de procréer ou enceinte : v. la note d’information du 26 mai 2015 de l’ANSM « Renforcement des conditions de prescription et de délivrance des spécialités à base de Valproate et dérivés (Dépakine®, Dépakote®, Dépamide®, Micropakine® et génériques) du fait des risques liés à leur utilisation pendant la grossesse », sur son site internet). Il importe ainsi peu que le malade fasse l’objet d’un suivi médical régulier et que l’éventuelle longue liste d’effets indésirables puisse avoir pour effet de le dissuader de suivre son traitement, celui-ci doit pouvoir effectuer lui-même la balance bénéfices/risques en ayant à sa disposition toutes les informations nécessaires et notamment celles relatives à un risque d’une particulière gravité.

Une affaire à suivre

Si la Cour de cassation écarte la prescription de l’action en responsabilité et reconnaît la défectuosité de la Dépakine, le sort du laboratoire Sanofi n’est toutefois pas encore scellé. En effet, la cassation partielle de la décision des juges du fond suppose que devra être examinée, par la cour d’appel de renvoi, la cause d’exonération de l’article 1245-10, 5°, du code civil. De l’appréciation de la conformité de la notice aux règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire dépendra donc l’indemnisation des victimes de cette affaire, mais également celle de nombreuses autres (il a ainsi pu être relevé, par Mme Véronique Louwagie, députée, dans l’annexe n° 38 du Rapport fait au nom de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2019, qu’« un rapport publié en août 2017 par la CNAM et l’ANSM estime qu’entre 2 150 et 4 100 enfants ont développé une malformation majeure entre 1967 et 2016 due à l’exposition au valproate de sodium pendant la grossesse. Ces deux instances ont également conclu, dans un rapport publié le 22 juin 2018, qu’entre 16 600 et 30 400 enfants auraient été atteints de troubles mentaux et du comportement sur la même période »), la prescription de Dépakine aux femmes en âge de procréer n’ayant été interdite par l’ANSM que depuis le 13 juin 2018.

Site de la Cour de cassation

Source : Dalloz-actualité, Solenne HORTALA

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