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Marine Martin, « Madame Dépakine », la bête noire de Sanofi

Midi Libre

Depuis plus de dix ans, elle se bat sans relâche pour faire reconnaître la responsabilité de Sanofi dans le scandale de la Dépakine, un antiépileptique responsable de handicaps chez les enfants lorsque la mère, ou le père, prenait le médicament au moment de la conception.

Ce lundi 9 octobre, à une semaine de l’échéance prévue, Marine Martin « enrage ». C’est dit comme ça, au téléphone, de cette voix saccadée qui mitraille parfois les mots, après que son avocat vient de lui annoncer que « Sanofi a fait repousser le procès au 22 avril 2024 ». 

Le lundi 16 octobre 2023, le tribunal de Paris devait examiner la plainte de cette femme de 51 ans qui accuse Sanofi d’avoir tardé à informer les femmes sous Dépakine, un antiépileptique qu’elle prenait pendant ses grossesses, de risques de handicaps sur leur enfant (malformations congénitales, troubles cognitifs). « On a assigné en 2012 » , se souvient Charles-Joseph Oudin, avocat de Marine Martin et de nombreuses autres victimes de la Dépakine. « J’ai été une des premières à saisir la justice », se souvient Marine Martin, lanceuse d’alerte comme, avant elle, Irène Frachon sur le Médiator. La justice civile d’abord, puis pénale, puis « j’ai attaqué l’État et déposé un dossier au fonds d’indemnisation ». Des actions tous azimuts pour se donner une chance d’aboutir.

Reconnaître le scandale « Je gagnerai forcément » , confiait, en 2013, Marine Martin, jeune maman de deux adolescents, dans la maison familiale de Pollestres (Pyrénées-Orientales) déjà envahie de dossiers de son association naissante, l’Apesac, l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant, créée en 2011. Elle avait alors déjà démissionné de son dernier emploi, un poste dans la logistique, pour s’occuper des enfants et se consacrer à son combat, sûre de ses droits : « Des études alarmantes étaient sorties bien avant la naissance des enfants, au début des années 80 » , explique alors Marine Martin. « C’est pour éviter des drames à d’autres enfants et parce que je porte la culpabilité d’avoir empoisonné les miens, que j’ai besoin d’une condamnation de Sanofi. J’irai la chercher au civil ou au pénal. Les condamnations judiciaires sont primordiales et la reconnaissance publique du scandale permet de se reconstruire » , espère-t-elle. « Je veux une réponse à la question que je me pose depuis dix ans : est-ce qu’on aurait pu éviter ça ? Tant que je n’en ai pas, je continue. » Et qu’importe le dernier contretemps : « Je n’aurais, de toute manière, pas eu de réponse immédiate, le jugement aurait été mis en délibéré, et si j’avais gagné, Sanofi aurait fait appel et serait allé en cassation. » Mais elle « répétait déjà dans sa tête » ce qu’elle aurait dit lundi.

Dans « Paris Match » « Des mots simples, percutants » , la tête haute. « Une salariée de l’Apesac me l’avait dit : « Marine, tu es meilleure quand tu ne lis pas tes notes ». La première fois qu’on a eu la télévision à la maison, c’est pourtant mon mari qui a parlé » , se souvient-elle. Depuis, elle est partout, le Canard Enchaîné , Paris Match, « comme Brigitte Macron », la presse locale « pour toucher les familles »… « J’ai même un profil Tik Tok » , pour parler « aux jeunes femmes et futures mères ». « Très vite, c’est elle qui a mené le combat, je suis devenu le « Prince consort » » , sourit Florent Martin, embarqué dans sa « lutte corps et âme » contre Sanofi. « Je la ramasse quand elle prend des coups, mais sa détermination pour faire justice à nos enfants est sans faille. La force de Marine, c’est qu’elle n’a rien à perdre, parce qu’elle a déjà tant perdu » , dit son mari. « Je n’imaginais pas la force dont j’étais capable » , confie celle qui était jusque-là l’incarnation de la Française lambda, « madame Martin, c’est comme madame Dupont, j’étais madame personne ». Elle se présente comme « madame Dépakine » à ceux qui ne la connaissent pas. « Ce n’était pas gagné que j’arrive à lutter dans la durée contre un géant pharmaceutique. La plupart des associations en Europe ont baissé les bras… J’ai beaucoup appris en parlant aux familles, à mon avocat. » Aujourd’hui à l’Assemblée nationale et aux ministres de la Santé, aux autorités sanitaires, comme l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui l’a reconnue comme « patiente experte ». Mais « Sanofi n’a jamais accepté de me recevoir. Je suis leur bête noire, je leur en fais baver, et ça me réconforte un peu. »« C’est quelqu’un que je respecte et que j’admire » , indique Sandrine Caristan, déléguée syndicale Sud Chimie sur le site Sanofi de Montpellier, qui l’a rencontrée lors d’une conférence. « Je lui ai présenté mes excuses en tant que salariée de Sanofi. Que l’entreprise ne reconnaisse pas sa part de responsabilité… Quand on parle de bénéfice/risque, on ne peut pas engranger les bénéfices et refuser les risques. » Elle confirme que le sujet est tabou dans l’entreprise : « On a reçu un mail nous demandant de ne pas en parler. » Marine Martin regrette de ne pas parvenir à conjuguer la parole et les actes contre le géant du médicament : « On ne me suivrait pas. » Elle l’a fait une fois, sur le site de production de Dépakine de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), mis à l’index pour ses rejets toxiques, en 2018, aux côtés du député LFI François Ruffin . Son côté « Jeanne d’Arc » inquiète parfois, y compris ses soutiens. « Je pense que j’ai une méthode qui dénote, je perturbe mes interlocuteurs. Je tape du poing sur la table. J’ai claqué la porte de Jérôme Salomon lorsqu’il était directeur général de la santé. Mais si je suis gentille, il ne se passe rien. »« C’est une femme de caractère » , admet Charles-Joseph Oudin, qui salue cette « maman qui a un courage et une détermination qui forcent le respect. Jamais elle n’a fléchi. »« Je suis à 150 % d’accord avec sa révolte contre Sanofi, je comprends sa radicalité, l’absence de concession, cette quête farouche de justice » , ajoute Irène Frachon, qui rappelle combien est ingrat et difficile le rôle du « lanceur d’alerte ». « On est seul, et on chute tout le temps. »« Pour mon mari, pour mes enfants, qui aspirent à une certaine normalité, ce peut être pesant », reconnaît la Catalane. Avec le premier, proviseur au lycée Christian-Bourquin d’Argelès-sur-Mer, elle partage une « passion du voyage ». Ils sont souvent rattrapés par l’actualité au coeur de l’été, au bout du monde, elle sacrifie toujours sa tranquillité à une interview à Franceinfo entre deux avions. « Un enfant autiste, c’est lourd à porter, alors deux… On avait dit à maman que Nathan ne rentrerait pas au collège, il est à la fac. Et moi, je suis prof de math avec des troubles « dys » aussi. Notre vie a beaucoup tourné autour de la maladie, et il n’y a pas un week-end où maman ne prépare une intervention au Sénat, ou à la télé… Je ne connais personne, à part elle, qui serait capable de mener ce combat et sans elle, on n’en serait pas là » , salue Salomé, 23 ans, l’aînée de Florent et Marine Martin. « À l’âge de marcher, Nathan ne marchait pas. À l’âge de parler, il ne parlait pas », témoignait, en 2013, Marine Martin. Dix ans plus tard, étudiant en master de droit, le jeune homme s’en « est sorti » avec deux certitudes : sa mère n’est pas pour rien dans son parcours, « elle m’a beaucoup inspiré par son courage » ; et « Sanofi doit payer ». Sophie Guiraud sguiraud@midilibre.com «

Parce que je porte la culpabilité d’avoir empoisonné mes enfants, j’ai besoin d’une condamnation de Sanofi » «

Madame Martin, c’est comme madame Dupont, j’étais madame personne »

Les Pères aussi: Il existe un « risque potentiel de troubles neurodéveloppementaux chez les enfants dont le père a été traité dans les trois mois qui précèdent la conception » au valproate de sodium, a alerté, le 3 août l’agence du médicament (ANSM) dans un courrier aux soignants. « Au sein de l’association ce n’est pas une surprise, nous avons déjà eu beaucoup d’appels d’hommes sous Dépakine » , affirme Marine Martin, qui travaille également, en ce moment, sur l’impact transgénérationnel de la Dépakine avec le centre de pharmacovigilance de Montpellier.

Justice : Les enfants et le mari de Marine Martin ont accepté, cet été, une indemnisation de l’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux), mise en place en 2017, qui éteint de leur côté la possibilité d’engager une action en justice : « Ils étaient las des expertises. » Le dossier pénal, avec une centaine de plaintes de familles (pour 16 600 à 30 400 enfants qui vivent avec des malformations imputables au médicament selon le chiffre officiel des autorités sanitaires) avance aussi, après qu’en 2020 le juge d’instruction a mis en examen Sanofi pour mise en danger de la vie d’autrui et homicide involontaire. « On en est aux contre-expertises. » 

Alerte à la Carbamazépine: Ce 12 octobre, c’est un autre antiépileptique qui a fait l’objet d’une mise en garde de l’ANSM : la carbamazépine « multiplie par trois les risques de malformations majeures du bébé » quand il est pris pendant la grossesse. Et selon l’ANSM, « la littérature scientifique suggère une hausse du risque de troubles neurodéveloppementaux ». Elle indique que 274 femmes enceintes ont été exposées en 2022.

Source : Sophie Guiraud Midi Libre

 

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