Le Monde
Le tribunal administratif de Montreuil a rejeté, mardi 18 mai, la requête de Sanofi, qui demandait l’annulation de la nomination de la lanceuse d’alerte Marine Martin comme membre d’un comité scientifique permanent de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Nouveau rebondissement dans le scandale de la Dépakine, cet antiépileptique en vente depuis 1967 et dont l’effet sur le foetus provoque des malformations congénitales et des troubles neurodéveloppementaux (atteinte du QI, autisme). Selon nos informations, le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a rejeté, mardi 18 mai, une requête déposée par le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis France, qui commercialise le médicament controversé. Ladite requête demandait l’annulation de la nomination, en juillet 2019, de la lanceuse d’alerte Marine Martin comme membre du comité scientifique permanent « reproduction grossesse et allaitement » de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), un établissement public placé sous la tutelle du ministère de la santé.
Dans sa requête, déposée devant le tribunal administratif, Sanofi-Aventis France mettait en doute l’impartialité de Mme Martin, dans la mesure où cette dernière, en tant que présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac), a « adopté des positions publiques à l’encontre » du groupe pharmaceutique et a « introduit différentes procédures judiciaires et administratives ».
Le conseil de Sanofi, Me Armand Aviges, relevait en outre que Mme Martin et l’Apesac « [étaie]nt parties civiles à une procédure pénale qui vis[ait] le laboratoire et l’ANSM » et pointait « l’existence d’un conflit d’intérêts ». Sanofi mis en examen pour « homicides involontaires »
Mère de « deux enfants victimes de la Dépakine », Mme Martin a fondé l’Apesac, « une association qui regroupe aujourd’hui 7500 victimes » et qui est à l’origine de plusieurs procédures judiciaires, en 2011.
Déjà poursuivi depuis février 2020 pour « blessures involontaires » et « tromperie aggravée », Sanofi a été mis en examen pour « homicides involontaires » en juillet 2020. L’information judiciaire vise notamment à déterminer si le laboratoire peut être tenu pour responsable du décès, en 1990, 1996, 2011 et 2014, de quatre bébés, dont les âges étaient compris entre quelques semaines et quelques mois.
Dans son jugement, le tribunal administratif de Montreuil rappelle que le comité scientifique permanent « reproduction grossesse et allaitement » de l’ANSM a un rôle consultatif et qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier, à supposer que les différentes procédures juridictionnelles intentées par
Mme Martin soient regardées comme constitutives d’un lien d’intérêt lui imposant de se déporter, qu’elle devrait le faire à une fréquence telle qu’elle compromettrait le fonctionnement normal du comité scientifique permanent “reproduction grossesse et allaitement”, ou a fortiori celui de l’ANSM ». « Ni la circonstance que Mme Martin ait, à titre personnel, formé une action en référé et une action indemnitaire devant la juridiction administrative afin d’être indemnisée des préjudices directs et indirects qu’elle a subis du fait de son exposition au valproate de sodium [la molécule incriminée] ni celle que l’association qu’elle représente ait déposé une plainte devant les juridictions répressives ayant abouti à l’ouverture d’une information judiciaire pour tromperie aggravée et blessures involontaires à l’encontre de la société requérante et de l’ANSM n’avaient à être déclarées », développe ainsi le tribunal.
Stratégie « de déni » du laboratoire « Pour nous, cette décision clarifie des questions légitimes qu’on s’était posées et laisse à l’ANSM le soin d’appliquer les règles relatives à l’impartialité du comité », a réagi Sanofi, qui en novembre 2019 avait demandé au directeur général de l’ANSM des précisions quant au contrôle des garanties en matière de neutralité lors des réunions du comité en question.
Pour sa part, Marine Martin estime que ce jugement « renforce [s]a détermination ». « Je suis la femme à abattre. Ce recours devant le tribunal administratif montre que je fais peur à Sanofi, que je suis dangereuse, estime-t-elle. J’ai accepté de siéger au sein de ce comité de l’ANSM car il faut être au coeur de la matrice pour changer le système. »
Pour Charles Joseph-Oudin, avocat de Mme Martin ainsi que de soixante familles de victimes au pénal, « l’objectif de l’ANSM est d’utiliser l’expertise d’une association agréée et du lanceur d’alerte comme patient-expert pour s’améliorer, dans l’intérêt des patients. Si le tribunal administratif avait conclu qu’il [existait] un conflit d’intérêts, [lequel serait de nature à] disqualifier un lanceur d’alerte au motif qu’il y a des actions judiciaires contre un industriel, l’Etat serait privé des associations agréées », considère-t-il.
« Ce recours s’inscrit dans une stratégie globale de Sanofi, qui vise à réduire au silence le lanceur d’alerte en l’écartant de l’institution ANSM, au motif qu’il y a des procédures judiciaires en cours, ajoute Me Joseph-Oudin. Il illustre la stratégie de déni de Sanofi, son refus absolu d’indemniser les patients, et de reconnaître ses erreurs afin de les corriger. »
Après avoir porté plainte au pénal en 2015 contre Sanofi, Mme Martin avait lancé, en 2016, une procédure administrative contre l’ANSM, l’agence étant par ailleurs mise en examen au pénal pour « blessures et homicides involontaires par négligence ». En juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a reconnu la responsabilité de l’Etat dans le scandale Dépakine, condamnant les pouvoirs publics à indemniser trois familles. Marine Martin attend désormais la tenue, « dans plusieurs années », d’un « grand procès pénal comme celui du Mediator ».
Rémi Dupré
Article paru dans LeMonde.fr