Bonjour Myriam, quelle est votre histoire ?
Suite à des malaises à l’adolescence j’ai commencé à prendre de la Dépakine, en 2005 je suis tombée enceinte alors que je poursuivais ce traitement. Ma mère est épileptique, sa maman l’était elle aussi, elle en est morte à 27 ans pendant une crise. J’ai perdu mon bébé à cause de la Dépakine.
Les médecins vous ont-ils prévenus des risques de la prise de Dépakine durant la grossesse ?
Le neurologue, éminent spécialiste, m’a expliqué qu’il valait mieux continuer le traitement pendant la grossesse. Il m’a dit que l’acide folique en complément protégerait le bébé d’éventuelles malformations, d’après lui rarissimes, qu’il serait beaucoup plus risqué pour le bébé et moi de refaire une crise. Il m’a affirmé avoir vu naître plein de « bébés Dépakine » tous en pleine forme. Que le seul risque évalué à 1% était le spina bifida, malformation que l’on détecte dès 4 mois de grossesse. J’ai suivi ses conseils.
Comment s’est passé votre grossesse ?
Plutôt bien, j’étais sereine, c’est à l’échographie des 7 mois qu’on m’a dit qu’il y avait un problème : tout l’hémisphère gauche était atteint, le parenchyme détruit. Les examens ont montré qu’il y avait plusieurs hémorragies cérébrales.
Le docteur m’a annoncé ensuite que Louis, s’il vivait jusqu’à la fin de la grossesse, naîtrait lourdement handicapé, qu’il ne parlerait jamais. Il m’a proposé l’Interruption Médicale de Grossesse. Après discussion avec mon conjoint nous avons accepté sans trop réfléchir. En pensant uniquement à lui épargner de la souffrance.
Le docteur vous a-t-il dit que les malformations de votre bébé pouvaient être liées à la Dépakine ?
Non, à ce moment-là il pensait plutôt au cyto megalo virus que j’aurais éventuellement contracté sur mon lieu de travail. Je suis professeur des écoles, à l’époque je travaillais dans une CLIS en zone sensible auprès d’enfants en situation de handicap. Jamais mon traitement n’a été abordé comme étant le facteur probable des malformations de mon fils.
Et que s’est-il passé ensuite ?
J’ai été admise aux urgences pour déclencher l’accouchement. J’ai eu des contractions douloureuses dès le départ, on m’a posé la péridurale, normalement proscrite en cas d’épilepsie. Puis on m’a fait l’injection, et le cœur de mon bébé a cessé de battre.
Malgré les contractions le col ne s’ouvrait pas, ils ont dû percé la poche des eaux. J’ai attendu de longues heures dans ma chambre, en entendant autour de moi les cris de bébés dans les chambres voisines…En tout j’ai eu 35h de travail, à la fin je n’avais plus de péridurale, j’ai failli mourir lors de mon accouchement ma tension était descendue dangereusement.
Une fois sortis, la sage-femme m’a proposé de le prendre dans mes bras. J’ai passé quelques minutes avec lui, à le bercer. Puis je l’ai regardé partir, recouvert d’un drap blanc dans les bras de cette femme… puis quelques jours plus tard ce petit cercueil dans les bras d’un homme en noir…
En presque 8 mois la vie et la mort m’ont traversé, mon bébé né sans vie.
Une autopsie a-t-elle été réalisée ?
Oui, l’autopsie puis les examens sur nous ont révélé un problème de coagulation dans le sang non héréditaire. « La faute à pas de chance » nous a-t-on dit à l’époque.
Vous avez eu d’autres enfants, étiez-vous toujours sous traitement ?
Non, j’ai arrêté mon traitement d’instinct au tout début de ma deuxième grossesse. Une intuition profonde et la peur de perdre un autre bébé, bien que les médecins m’aient dit que le médicament était compatible avec une grossesse. Mon généraliste m’a toutefois très bien accompagné dans l’arrêt progressif du traitement. Je n’ai jamais refait de crise d’épilepsie. Mes deux filles sont en parfaite santé.
Comment avez-vous découvert les effets tératogènes de la Dépakine ? Avez-vous entrepris des démarches juridiques ?
Le scandale autour de ce médicament a éclaté peu après… on m’a proposé de monter des dossiers. Démarches que je n’ai jamais entreprises sachant que le voile était levé pour les futures mamans.
Le deuil a été long pour moi, j’ai préféré me concentrer sur ma famille, sur mes filles.Je suis une maman qui savoure, s’enthousiasme et s’émerveille de chaque battement de cil de ses filles, de chaque étincelle de vie, de chaque progrès, de chaque changement.
Un mot pour finir ?
Louis a sa place parmi nous. Il ne se passe pas une journée sans que je ne pense à lui. En fait il est là tout le temps. Un trésor furtif et délicat, éternel et infini, au-delà de la vie, au-delà de la mort.
Propos recueillis par Emilie DECHATRES