La Croix, le 04 Août 2020
Les faits
Le laboratoire français a été mis en examen pour « homicides involontaires » dans le dossier de la Dépakine, un antiépileptique à l’origine de graves troubles in utero. En demandant à Sanofi une garantie bancaire de 80 millions d’euros, la justice s’assure que la firme paiera bien les indemnisations à venir des victimes.
C’est un dossier judiciaire que le laboratoire Sanofi va, à l’évidence, devoir traîner comme un boulet pendant de nombreuses années. Avec quelques dégâts collatéraux pour ses finances mais aussi pour son image de marque. Le dossier très sensible de la Dépakine a valu à l’entreprise d’être mise en examen le 20 juillet pour « homicides involontaires ».
Une information révélée lundi 3 août par Le Monde. « On espère que cela va inciter Sanofi à cesser de mépriser les victimes », souligne Marine Martin, présidente de l’Apesac, une association qui représente les parents d’enfants victimes de ce médicament visant à traiter l’épilepsie et les troubles bipolaires.
La Dépakine contient du valproate de sodium, une molécule mise sur le marché en 1967. Dans les années 1980, on a découvert qu’elle pouvait entraîner des risques de malformations fœtales quand elle était prise durant la grossesse. Dans les années 2000, des études ont montré des risques de troubles de l’attention, du langage ou du spectre autistique. Selon un rapport de juin 2018, entre 16 000 et 30 000 enfants ont pu être touchés par ces diverses atteintes.
Depuis 2016, une soixantaine de familles, ayant des enfants handicapés mais toujours vivants, ont porté plainte contre Sanofi et ont obtenu, en février 2020, sa mise en examen pour « tromperie aggravée » et « blessures involontaires ». Mais quatre familles, ayant vu mourir leur enfant dans les mois ayant suivi sa naissance, à cause de la Dépakine, ont elles aussi engagé une action en justice. « Et c’est sur quatre dossiers que le juge vient aujourd’hui de mettre en examen Sanofi pour homicides involontaires », souligne leur avocat, Me Charles Joseph-Oudin.
Dans une ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, que La Croix a pu consulter, les juges d’instruction soulignent « la gravité exceptionnelle des faits ». Selon eux, il n’est « pas contestable » que le lien entre la Dépakine et les dommages des victimes est « scientifiquement établi ». Une expertise médicale, remise en janvier 2020 aux magistrats, estime que l’information, faite par le laboratoire auprès des patientes et des médecins prescripteurs, a été « tardive, incomplète et excessivement rassurante au regard des connaissances scientifiques disponibles ».
Une mise en examen contestée par Sanofi
Dans ce dossier, une des questions centrales est de savoir qui aurait dû informer les médecins et les futures mères de la toxicité potentielle du produit. Depuis le début, Sanofi se défend en assurant avoir alerté, il y a plus de 30 ans, les autorités sanitaires des risques de malformations. L’entreprise assure aussi avoir alerté dès 2003 des risques de troubles neuro-développementaux. Et selon Sanofi, c’est l’État qui a tardé à donner son feu vert pour que soient modifiées, en 2006, les notices d’information sur le médicament. Aujourd’hui, Sanofi « conteste le bien-fondé » de cette nouvelle mise en examen. Celle-ci fera l’objet d’un recours devant la chambre de l’instruction.
En attendant, le laboratoire va devoir, à la demande des juges, verser un « cautionnement » de 8 millions d’euros, tout en s’engageant à présenter une garantie bancaire de 80 millions. Une somme importante qui est un moyen pour la justice de s’assurer que l’entreprise versera bien d’éventuelles indemnisations à venir. « C’est important car pour l’instant, Sanofi refuse de payer », note Marine Martin.
Quant à l’État, il est aussi dans le collimateur de la justice. « Début juillet, sa responsabilité a été reconnue par le tribunal administratif de Montreuil qui l’a condamné à indemniser trois familles d’enfants lourdement handicapées », souligne Me Joseph-Oudin.
Par Pierre Bienvault, Source La Croix