Le Lanceur, 3 Décembre
À Montpellier, Le Lanceur a rencontré Marine Martin, qui porte l’alerte sur les risques de handicap des enfants liés à la prescription d’antiépileptiques à des femmes enceintes. Aujourd’hui, elle s’inquiète des effets du médicament sur la deuxième génération d’“enfants Dépakine” et de l’impact des rejets de l’usine de production. Des questions sur lesquelles les pouvoirs publics et le laboratoire restent silencieux.
“Chez la femme enceinte, la Dépakine comporte un risque de 40 % que l’enfant présente des malformations physiques majeures et des troubles neuro-développementaux”, rappelle Marine Martin pour débuter la rencontre. Depuis 2010, la présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac) se bat pour les familles qui, comme la sienne, n’étaient pas au courant des dangers que présente la prise d’un antiépiléptique, la Dépakine, pendant la grossesse. Devant un public attentif, celle qui se bat pour une plus grande information sur ces dangers a évoqué ses inquiétudes quant à la deuxième génération d’“enfants Dépakine” et aux troubles que peuvent engendrer les émissions toxiques de l’usine Sanofi de Mourenx, principal lieu de production du médicament.
Une deuxième génération de victimes
“L’acide valproïque, constituant de l’antiépiléptique, modifie le niveau d’expression de certains gènes et peut affecter les enfants des enfants Dépakine”, explique Marine Martin. Selon des données collectées par l’Apesac, parmi les 149 recensés de cette deuxième génération, 101 présentent des malformations ou des troubles comportementaux. Le constat est “sidérant mais peu étonnant”, selon la lanceuse d’alerte, qui rappelle que l’acide valproïque contient des particularités mutagènes et qu’il est depuis des années utilisé par des scientifiques pour étudier l’autisme sur les animaux. “Aujourd’hui, des familles inquiètes m’interrogent à ce sujet et je ne suis pas en capacité de leur répondre”, regrette Marine Martin, dont la demande – adressée il y a un an à la ministre de la Santé – que soit menée une étude sur cette deuxième génération est restée sans réponse.
La crainte des rejets toxiques de l’usine Sanofi de Mourenx
Autre facteur alarmant, les “enfants Dépakine” et leurs enfants ne seraient pas les seuls sujets aux risques du médicament. “À Mourenx, là où est produite la Dépakine, 13 à 20 tonnes d’émissions polluantes s’échappaient de l’usine par an”, rappelle la présidente de l’Apesac. L’entreprise rejetait des doses de bromopropane190 000 fois plus élevées que la norme. Des rejets particulièrement préoccupants, puisqu’ils pourraient avoir des conséquences sur les salariés de l’usine et les riverains. “J’ai recueilli le témoignage d’une maman qui n’est pas épileptique, dont le bureau se situe en face des locaux de Sanofi. Ses enfants présentent des malformations. Après avoir effectué des analyses, des traces de Dépakine ont été retrouvées dans son sang”, relate Marine Martin. En juillet 2018, l’usine a fermé après le dépôt d’une plainte par l’association France Nature Environnement. Pour tester la conformité des rejets, le site a cependant repris son activité en septembre.
David contre Goliath
“Concernant le dossier Dépakine, témoigner à visage découvert pour les familles est extrêmement dur. Quand on est épileptique, on grandit avec l’idée que l’on doit cacher sa maladie, que c’est une honte”, poursuit Marine Martin. Dans la salle, certaines femmes acquiescent. Sandrine, salariée du laboratoire Sanofi pendant plus de trente ans, prend la parole : “Moi, salariée de Sanofi, j’ai honte de travailler pour ces gens quand on m’explique que la Dépakine est utilisée pour rendre des souris autistes”, scande-t-elle, visiblement émue.
Pour Marine Martin, il ne fait pas de doute qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire pour obtenir gain de cause, sur les volets judiciaires comme sur la sensibilisation. “Aujourd’hui, je suis sidérée que des femmes continuent à nous appeler et à découvrir seulement les dangers de la Dépakine. Pour éviter cela, il ne faut jamais cesser le travail d’information”, lance-t-elle d’un ton ferme. Interrogée sur son rôle de lanceuse d’alerte, Marine Martin souligne l’importance de la presse dans son combat contre le mastodonte Sanofi.
“Certains avaient essayé d’alerter, mais on leur riait au nez. Devant des réticences très importantes, il faut trouver les bons partenaires, les bons alliés. Sans cela, un scandale ne peut pas éclater, estime-t-elle. Quant à moi, j’ai en quelque sorte sacrifié ma vie pour informer. Des fois, j’ai envie de tout balancer et de penser un peu à moi. Mais je n’y arrive pas. Quand je sais que des familles sont en détresse, je me dis qu’il faut que je continue le combat.” Pour l’heure, une seule condamnation a été prononcée contre Sanofi, pour “défaut d’information”, par la cour d’appel d’Orléans. Condamnée à payer 3 millions d’euros, la multinationale s’est pourvue en cassation.