La Nouvelle République
L’avocat d’une maman épileptique, traitée avec l’anticonvulsivant pendant sa grossesse, veut savoir si les retards psychomoteurs de sa fille sont liés.
Ambiance tendue dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Poitiers, hier matin autour des conséquences présumées d’un médicament des laboratoires Sanofi, la Dépakine. Il s’agit d’un des anticonvulsivants qui défraye la chronique depuis plusieurs années, en raison des risques que cet antiépileptique ferait courir au fœtus pendant la grossesse (lire en savoir plus).
“ La simple suspicion suffit ”
Un référé expertise a été déposé par Me François Gaborit, avocat du barreau de Poitiers, spécialiste du dommage corporel. Sa cliente, Nathalie Laprie, agent hospitalier au CHU, atteinte d’épilepsie, a pris cet anticonvulsivant pendant la grossesse de sa fille, fin 1998. Son enfant avait développé un retard psychomoteur pendant sa croissance, jusqu’à sa reconnaissance comme handicapée.
« La Dépakine a un effet tératogène, qui peut avoir des conséquences sur l’embryon. Nous avons cette jeune fille, exposée in utero, qui présente des troubles potentiellement liés à la Dépakine. L’objet de l’expertise est le suivant : la prise de Dépakine a-t-elle pu être la cause de ce retard psychomoteur ? », a avancé Me Gaborit.
Il a longuement défendu l’opportunité de cette demande, devançant les arguments de la partie adverse sur l’extinction supposée d’une action en justice dix ans après une « responsabilité du fait de produits défectueux. » Le retard pris dans la transposition d’une directive européenne avait conduit à cet état de fait.
« Ma cliente peut se voir appliquer le régime d’avant mai 1998. Sanofi ne peut pas invoquer le délai de dix ans. D’autant qu’une étude de 1984 indiquait déjà le lien entre Dépakine et risques de troubles comportementaux. La simple suspicion suffit », a estimé l’avocat poitevin.
L’avocat des laboratoires Sanofi, Me Armand Aviges, visiblement dérangé par la présence d’un journaliste dans la salle (« il n’y a pas que vos oreilles, ici, Monsieur le président », a-t-il déclaré en préambule) n’a pas demandé le rejet de l’expertise : « Nous demandons la mise hors de cause du laboratoire : la responsabilité n’est pas établie. Venir plaider que le produit est défectueux, je ne peux pas le laisser dire. Ce n’est pas parce qu’un médicament a provoqué un effet indésirable que le laboratoire est nécessairement responsable. Ce médicament est encore considéré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme important pour la vie humaine. »
Selon Me Armand Aviges, « la plupart des éléments de preuves sont manquants dans ce dossier. »
Le président du Tribunal de grande instance s’est donné jusqu’au 10 janvier pour donner, ou pas, le feu vert à ce référé. Un collège d’experts indépendants des parties du dossier (dont le CHU de Poitiers et la CPAM de la Vienne), rassemblant pharmacologue, neurologue, généticien serait alors mobilisé sur ce dossier. Les juges poitevins seront de nouveau amenés à se prononcer prochainement sur un autre « dossier Dépakine » concernant trois frères et sœurs.
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Plus de 4.000 enfants exposés en France, depuis 1967
Le valproate de sodium est la molécule soupçonnée de provoquer des atteintes neurologiques, retards psychomoteurs, autisme ou malformations physiques chez les foetus dont les mamans ont été traitées par des antiépileptiques. Il y a le médicament le plus connu, la Dépakine, mais aussi Depakote, Dépamide, Micropakine et tous les génériques liés au valproate. En mai 2017, le décret d’indemnisation des victimes de la Dépakine, a été publié au Journal officiel. « L’indemnisation des victimes va s’étaler sur des années car nous sommes des milliers », avait prévenu Marine Martin, présidente de l’Association des parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (Apesac) qui estime que 40 à 46 % des enfants nés sous Dépakine ont de troubles neuro-comportementaux, 11 % des malformations physiques. En France, entre 2.150 et 4.100 enfants auraient été exposés in utero au valproate depuis sa commercialisation, en 1967, selon des estimations de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) a déjà commencé à examiner des dossiers d’indemnisation. La cour des Comptes, a chiffré à 424,2 millions d’euros le coût de ce scandale sanitaire.
Source : https://www.lanouvellerepublique.fr/actu/depakine-premiere-expertise-demandee-a-poitiers