Béatrice : J’avais 16 ans en 1979 quand je suis devenue épileptique. Mon neurologue m’a alors prescrit de la Dépakine et du Rivotril. Puis je le voyais tous les 6 mois pour des contrôles. En 1982, je me suis mariée et le désir d’enfant était présent.
Vous lui avez donc exprimé votre désir de grossesse ? Que vous a-t-il répondu ?
Je me revois encore dans son bureau. Il m’a certifié que ce médicament était sans danger.
Et ensuite ?
Le début de grossesse a été très difficile, j’ai cru perdre mon enfant. Suite à un long trajet en voiture, j’ai eu des saignements. L’écho que j’ai passée était normale, pas de fausse couche mais il fallait que je reste allongée pour raison de fatigue. J’ai accouché en mars 1984 d’un petit garçon, Laurent, atteint d’un spina bifida aperta (qui n’avait pas été décelé à l’échographie, la gynécologue était médiocre et son appareil fonctionnait une fois sur deux) et d’une hydrocéphalie. J’ajoute que c’est une sage-femme qui m’a accouché : la gynécologue n’est arrivée que 30 minutes après l’accouchement alors qu’elle exerçait à 10 minutes de la clinique et qu’elle avait été prévenue de mon admission depuis plusieurs heures. J’ai toujours pensé qu’elle n’avait pas voulu assister à la naissance, qu’elle savait…
Que s’est-il passé ?
Le Samu l’a emmené immédiatement dans un autre hôpital. Je ne l’ai même pas vu, j’étais dans une situation de détresse totale. Il est décédé 5 jours plus tard des suites de ses malformations.
Que vous ont dit les médecins ?
Le généticien que j’ai rencontré suite à ce drame m’a fait comprendre que la Dépakine en était à l’origine, qu’il fallait arrêter ce médicament. J’ai alors écrit à SANOFI en lettre simple.
Quelle a été leur réponse ?
Ils n’ont jamais répondu. Pourtant en 1984 les risques tératogènes de ce médicament étaient connus.
Qu’avez-vous fait alors ?
Il est difficile de se remettre après une telle épreuve. Je dois dire que mon mari a été exemplaire. Ma famille proche a décidé de se taire alors que moi j’aurais voulu qu’ils me soutiennent. Je suis maintenant maman de 4 enfants nés sans Dépakine.
Comment avez vous connu l’APESAC ?
En 2016 , j’ai vu des reportages à la télévision et j’ai lu des articles. J’ai décidé de vous contacter via facebook. Je n’aurais jamais osé prendre le téléphone et vous appeler.
Pourquoi ?
Je me sens coupable de n’avoir pas alerté en 1984 alors que je savais. Je suis stupéfaite de voir le nombre de victimes augmenter chaque jour, les différentes pathologies que cela entraîne. Je suis inquiète pour mes enfants et mes petits enfants à venir : ma fille a de gros problèmes de dos et un de mes fils souffre de troubles graves du comportement, tous deux nés sous Rivotril uniquement dont je doute de l’absence de dangerosité.
Que vous apporte l’APESAC ?
Je ne vais pas forcément mieux car le traumatisme est toujours là. Je retiens surtout une notion de partage, cela me permet d’avancer dans mon parcours. Je regrette de n’avoir pas pu venir au rassemblement de familles dans les Landes. Je ne souhaite pas entamer de démarches, j’ai peur que cela ne réveille des souvenirs trop douloureux, peur de voir des photos de Laurent dans mon dossier médical.
Témoignage recueilli par Nathalie Orti, déléguée de l’APESAC.